Lundi, 13 heures 55. Mon vol en provenance d’Amsterdam vient d’atterrir à Stuttgart – les biens connues subtilités du yield management ont fait que le moins cher au départ de Paris consistait à changer à Schiphol – et je m’apprête à sortir de la salle des bagages, quand une voix allemande m’interpelle. Carte à étoile, que, par effet d’intimidation, je ne lis même pas. La douane. Pensant, à tort, à une simple formalité, je réponds rapidement que je viens de France, via Amsterdam – la dernière fois, à Berlin, ça a réglé l’affaire en moins d’une minute. Grosse erreur. Je suis conduit au bureau où on me fait poser mes bagages. Je mélange le peu d’allemand que je connais avec le français. On est en Allemagne, on parle allemand m’assène-t-on. Anglais évidemment. Mais pas le français, alors que la frontière est toute proche.
Carte d’identité. Cartes d’embarquement. Motif, durée de la visite : certains officiers de l’immigration américaine feraient pâle figure à côté. Le premier sac : un cabas Galeries Lafayette où j’avais mis des boîtes de sachet de thé que je destinais à une amie qui m’hébergeait le soir à Kaiserslautern. Heureusement que je n’avais pas pris le temps de les fermer dans les paquets cadeaux pendant le vol – j’avais prévu au moins d’attendre l’embarquement pour passer les filtres de sécurité à l’aéroport, au cas où… Un à un les paquets de sachets Mariages Frères, Le Palais des thés et Damman sont sortis, soupesés. Emballés dans du plastique les deux premiers sont mis de côté, quand les derniers, dont la boîte n’est pas recouverte de film sont ouverts : évidemment, à l’intérieur, l’industrie a enfermé les sachets dans un film plastique et hermétique. « Bali », « Oriental », cela rigole à l’évocation de ces noms-là. C’est le second qui est littéralement percé pour prendre un sachet, l’éventrer et l’ausculter si d’aventure les feuilles de thé étaient de substances illicites. La douane ne connaît pas la présomption d’innocence. Allez consommer les vingt-quatre sachets restant après ça, sans parler de les offrir. Dix euros éventés par des mains indiscrètes.
Second cabas, des journaux. Non, rien de caché entre les feuilles. C’est au tour de mon sac à dos. Tout est enlevé, vidé. Les sacs à linge, les caleçons, les polos – « c’est quoi ça ? » – les chaussettes, même en boule – on ne sait jamais ? Tout y passe, déposé en tas sur une table semée de traces douteuses, avec une délicatesse de Troisième Reich. Le second sac, avec l’ordinateur, subit le même traitement. Poche arrière – stylos, préservatifs. Poche avant – stylos, pièces, sachets de thé et papiers en vrac. L’inspection se poursuit à l’intérieur – billets de train, « beaucoup de voyages ? – Oui beaucoup de voyages » – quand l’agent, se rendant bien compte qu’il a fait choux blanc, cesse les fouilles avec un geste de mépris. Il me reste plus qu’à ranger, énervé autant qu’humilié. Même si je n’ai pu relever le matricule de l’agent, j’ai récupéré l’adresse où formuler ma réclamation.
Une petite googlelisation m’a appris que si les contrôles douaniers peuvent s’effectuer à l’arrivée de tous les vols – du moins pour les bagages cabine – ils sont généralement ciblés sur certains vols, ce que la douane allemande semble ignorer à Stuttgart – du moins pour moi. J’ai quand même du mal à comprendre pourquoi c’est en Allemagne que je subis ce genre de contrôles aléatoires : une fois en transit à Munich, en venant de Barcelone, vérification d’identité avec une carte que l’on ne croyait pas être la mienne, une autre à Berlin, venant de Londres. La seule exception, Stockholm, en provenance de Madrid, à la sortie de l’avion. Châtain aux yeux clairs, je n’ai pourtant pas l’air d’un immigré africain clandestin, à moins que j’ai une excellente maquilleuse esthéticienne me dit un jour mon voisin de vol, chercheur en physique au CNRS, qui m’expliqua, ainsi qu’à l’hôtesse venue se joindre momentanément à la discussion, pourquoi le thé ne peut infuser dans le jus de tomate – effet de ma distraction. A moins que, traité outre-Rhin comme un juif dans les années quarante, ma barbe d’une dizaine de jours et mes cheveux mi-longs ne fassent suspecter le fichier Interpol et une résurrection de Baader… Ayant échappé à la langue teutonne au collège, à mon grand regret, moi qui voulait faire de la philosophie, j’ai toujours eu le cœur un peu latin : c’est peut-être ça le fond de l’affaire. On y pensera pour les prochains voyages…
Gilles Charlassier