Wadji Mouawad, surtout reconnu pour ses textes de théâtre- quiconque a vu Incendies sur scène ou au cinéma ne peut oublier les mécaniques implacables et noires de ses récits- se dévoile aujourd’hui comme un romancier au langage polyphonique. Pour son deuxième roman, il a consacré douze années de recherche pour parvenir à une histoire entre enquête policière, roman d’aventure, et recherche identitaire; Anima se déploie ainsi sans laisser s’échapper ni l’émotion, ni l’intuition, ni même le sentiment pour le lecteur d’avoir accès à une vision totale du déroulement de l’action. L’histoire? Le personnage principal, Wachh découvre un jour sa femme violée et morte au milieu de son salon. Il part à la recherche de son assassin, à la fuite de son angoisse, sans être animé par la colère ou le désir de vengeance, mais par le besoin d’incarner l’anonyme qui se cache derrière le tueur, ne serait-ce que pour s’en affranchir. Il épuise ainsi sa peine en se lançant dans une aventure entre la Canada et les Etats-Unis qui pousse l’investigation jusqu’aux méandres de ses origines, celles qui lui ont été ôtés de la mémoire dès son plus jeune âge.
La mort dans ce qu’elle a de plus violent et sanguinaire introduit le récit et devient son leitmotiv. Archétype du roman, elle ouvre l’intrigue et permet son déroulement, la succession des péripéties ; finalement elle sera la clef du dénouement et de la compréhension du personnage de Wachh. Mais sa représentation n’est pas celle d’une mort naturelle, elle est le fruit d’un rite jouissif pour le bourreau entre cruauté barbare et obscénité bestiale.
Inconscient collectif
Ce qui est avant tout surprenant dans le livre, c’est la narration. Chaque angle adopté pour suivre les actions qui dessinent le cours de la trame, correspond à celui vu par un animal; un chien, un chat sauvage, un poisson rouge, une araignée, une fourmi, une corneille, un scarabée, un chimpanzé ou encore un boa constrictor, précisément nommés en latin dans le titre de chaque chapitre, qui se dissipent les uns derrière les autres tels des passages de décors, de personnages, d’humeurs et d’atmosphères. Ils permettent à la fois de créer une distance entre un lecteur en proie à l’identification et le témoignage d’animaux présents sur la scène, et en même temps d’associer chaque perception à une sensibilité particulière, une appartenance, une fidélité à un camp. Souvent bien plus puissante qu’entre les hommes. Le tout prend l’allure d’une toile que l’on voit se tisser peu à peu sans erreur, sans confusion, sans manque à gagner. L’union des bêtes et des hommes, leurs confrontations ou simplement leur rencontre, loin des stéréotypes véhiculés par notre société, révèlent une correspondance nourrie d’humilité et poignante de vérité.
Lire Anima, c’est ainsi être à la fois happé par une histoire qui menace ne vous sucer le sang si vous l’interromptez, et en même temps être attiré par l’envie nécessaire de souffler après certains passages, climax douloureux mais annonçant une suite qui peut-être, allègera la chronique. Voilà qui est dur sans jamais être vicieux, cruel mais sans pathos, pour raconter une vie sans artifices mais pleine de fractures…
Anima, Wadji Mouawad, Actes Sud, 22€