Il est cinq heures du matin. Vous sortez tout juste d’atterrir à Ben Gurion après un red-eye flight de cinq heures depuis votre Europe occidentale et un agent de sécurité vous arrête en passerelle – en anglais. « Sécurité israélienne . Vous avez quelques minutes ? » S’ensuivent des questions sur les raisons de votre séjour en Terre Sainte. « Again first time in Israël ? » Approuver une nouvelle fois car c’est la vérité. Puis, après avoir répondu « Paris » à la ville où vous habitez en France, le jeune agent qui doit avoir juste accompli son service militaire – celui-ci dure trois ans pour les garçons, deux pour les filles – vous remet avec le sourire votre passeport qu’il a épluché page après page avec une vigueur auquel le parchemin n’aurait pas résisté en concluant « Champs Elysées ». Vous pouvez ensuite descendre vers l’immigration, où une femme enfermée dans son cabanon de plexiglas hérité peut-être de l’Union Soviétique, vous interroge encore, avec force circonspection, pendant cinq bonnes minutes sur les motifs de votre voyage – heureusement vous n’êtes pas une femme musulmane née en Algérie, ce qui vous aurait valu d’être conduit dans une salle à part où l’on voit s’entasser des candidats qui ont le malheur de correspondre plus ou moins aux profils jugés à risques sinon dangereux – avant de vous remettre un petit carton avec un code barre où est scanné en miniature votre passeport pour franchir un portique semblable à ceux du métro.
Vous êtes arrivé en terre d’Israël. Vous n’oublierez pas qu’au départ, vous serez encore interrogé avant de passer la sécurité. On apposera un code-barre jaune, qui décidera de l’intensité des fouilles qui vous seront réservées. Comptez une bonne heure d’attente.
Les contrôles, parfois rudes, dans ce petit pays du Proche Orient coincé entre des voisins musulmans pas toujours conciliants ne manquent jamais de nourrir les discussions sur les forums de voyageurs – une simple googelisation en témoignera sans peine. Et pourtant, comment oublier qu’Israël est une nation en guerre, depuis sa naissance, surtout en ces jours où l’on commémore le sinistre vingtième anniversaire de l’assassinat d’Yziak Rabin, un 4 novembre 1995, par un militant de l’extrême-droite israélienne, signant la mort du processus de paix initié avec les accords d’Oslo deux ans plus tôt. Je me rappelle avoir commenté, en cours d’histoire au lycée, trois années plus tard, un dessin de Plantu réunissant Rabin et Arafat à deux doigts d’une poignée de mains surplombées par des colombes tandis que des hommes armés les tiraient de part et d’autre : les désastres des franges radicales des deux patries se disputant la répartition d’un même territoire.
D’ailleurs, c’est une bien singulière idée que d’aller en Israël alors que s’intensifie ce que l’on appelle désormais l’intifada des couteaux, qui plus est de visiter Jérusalem. Et pourtant, on ne compte qu’une vingtaine de morts depuis le débuts des violences côté juif, et une quarante versant arabe, sans oublier que dans cet engrenage, la radicalisation d’une partie de l’opinion a conduit à certaines bavures. Et pourtant, lorsque l’on descend la rue de Jaffa et que les murailles de la Vieille Ville aveuglent par leur blancheur sous le soleil de début d’après-midi, lorsque l’on déambule dans les rues de ce souk à ciel presque ouvert qu’est le quartier du Saint-Sépulcre, que l’on passe un portique de sécurité comme on en voit dans tous les grands musées français pour aller devant le Mur Occidental, dit des Lamentations, lorsque l’on erre dans le district juif, plus résidentiel, que l’on sort vers le centre dans la rue Ben Yehuda manger un savoureux falafel végétarien tandis qu’un énorme cafard escalade les pavés et que l’on ne compte plus les queues des chats, lorsque l’on aperçoit encore des tablées animées, comment ne pas oublier le couvre-feu que les médias ont décrété par procuration ? Bien sûr, les factions militaires sont plus nombreuses dans le secteur musulman, porte des Lions par exemple au début de la Via Dolorosa, et une certaine tension palpable invite à ne pas trop s’attarder. Mais comment ne pas oublier les downtown parfois livrés à la délinquance dans les grandes métropoles, en particulier sud-américaines, où il ne fait pas bon s’aventurer, a fortiori la nuit tombée ? Et puis, Israël, ce sont aussi des plages de sable fin et une Méditerranée transparente à 25 degrés en mi-octobre, la bulle Tel-Aviv et le vieux port de Jaffa, les transports désespérément lents et les gares ferroviaires complètement excentrées, l’hébreu au sens propre du terme face à lequel seules les transcriptions des panneaux de rue et des rames de train peuvent aider, la gentillesse des gens aussi, souvent avides de regards du monde extérieur. Non vraiment, ce serait une erreur de rayer Israël de la carte touristique. D’autant qu’en ces heures sombres que connaît la France depuis les attentats de vendredi dernier, on n’y est peut-être pas plus en insécurité, là-bas, et avec la conférence mondiale sur le climat à l’horizon, la surenchère sécuritaire, que l’on espérera efficace au moins pour nous protéger de nouvelles attaques, ne sera peut-être pas là où on l’attend…