James Gray aime l’opéra, et sans doute dans sa version la plus classique, avec belles voix et jolis décors. Les Noces de Figaro qu’il a réglé pour Los Angeles ce printemps et que le Théâtre des Champs Elysées, coproducteur du spectacle, avec Luxembourg, Lausanne et Nancy, reprend cet automne, ne verse pas, en effet, dans les tentations conceptuelles de certains metteurs en scène. Le cinéaste américain témoigne, au contraire, d’une appréciable humilité envers la musique et le livret, qu’il illustre avec un sens du divertissement assez anglo-saxon.
Dessinés par Santo Loquasto, les décors jouent habilement entre évocation presque réaliste et illusion théâtrale – tonalité presque de commedia dell’arte pour le rideau de scène, charpente de bois, portes, balcons, fenêtres et réduits pour la première partie entre la chambre des futurs époux et les appartements de la comtesse ; vaste œil de bœuf où se nichent les recoins d’un jardin baigné dans le poétique tamis nocturne des lumières de Bertrand Couderc pour le dernier acte. Conçus par Christian Lacroix, les costumes revisitent avec une fantaisie inventive la mode de l’époque de Mozart, dont on a également revêtu le pianofortiste, Paolo Zanzu, affublé d’une perruque pour en faire sans doute un sosie du compositeur – artifice plaisant à défaut d’être indispensable. Si la direction d’acteurs, qui investit ponctuellement la salle, entre les actes, affirme une crédibilité et une vitalité tout à fait dans le ton de la comédie sociale, elle ne perturbe pas guère le premier degré assez cinématographique, à l’exemple de la poignée de main réconciliatrice entre le maître et le valet, comme dans tout bon film où les ennemis signent enfin une paix virile.
Vérité comique et fraîcheur musicale
La facture assez classique de la mise en scène présente l’avantage de ne pas contrarier la jubilation musicale. Anna Aglatova se distingue par une Susanne à la fois sensible et spirituelle, avec une belle consistance tout au long de la tessiture – medium charnu et aigu alerte composent une soubrette qui ne se cantonne pas à la légèreté superficielle. Vannina Santoni séduit par sa Comtesse juvénile, à la psychologie néanmoins nuancée, servie par une évidente musicalité. L’homogénéité du Chérubin campé par Eléonore Pancrazi détaille une impulsivité adolescente qui dépasse les clivages de l’androgynie. La Marceline de Jennifer Larmore ne sacrifie pas la voix à l’expression de la maturité, tandis que Florie Valiquette assume la fraîcheur de Barberine. Côté messieurs, Robert Gleadow impose un Figaro robuste, qui sait affronter le Comte non moins vigoureux de Stéphane Degout, à l’émission qui sait se faire mordante. Contrastant avec le Basilio solide de Carlo Lepore, Mathias Vidal déploie toutes les ressources de l’articulation pour accentuer les courbettes courtisanes de Basilio. Mentionnons encore les interventions de Matthieu Lécroart en Antonio, et celles du Curzio dévolu à Rodolphe Briand, l’un et l’autre tout à fait en situation, sans oublier les choeurs d’Unikanti, préparés par Gaël Darchen. A la tête de son orchestre Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer fait vivre la versatilité des rythmes et des couleurs d’une partition qu’il connaît intimement – on goûtera en particulier la saveur sans cesse renouvelée des pupitres de vents. « Prima la musica », la devise des Théâtre des Champs Elysées n’est pas un vain mot. Ceux qui n’auront pu venir avenue Montaigne pourront le vérifier dans les cinémas ce vendredi 6 décembre, ou encore devant leur petit écran quelques jours plus tard…
Par Gilles Charlassier
Les Noces de Figaro, Théâtre des Champs Elysées, jusqu’au 8 décembre 2019