Si l’Opéra des Flandres se distingue – depuis de nombreuses années, tant sous la direction d’Aviel Cahn que, depuis 2019, sous celle de Jan Vandenhouwe – comme l’un des théâtres lyriques les plus inventifs, n’hésitant pas à bousculer certaines traditions, cet élan novateur n’interdit pas pour autant de proposer des spectacles à même de devenir de véritables références. Ainsi en est-il de la Madame Butterfly de Mariano Pensotti, coproduit avec l’Opéra du Rhin, où elle fut la dernière mise en scène commandée par Eva Kleinitz, qui, décédée prématurément, n’a pu voir la création de cette relecture sensible et juste de l’ouvrage de Puccini. Libérée des contraintes sanitaires alors encore en vigueur en juin 2021, cette reprise livre tout le potentiel d’une double narration qui fait ressortir l’universalité comtemporaine de l’histoire de Cio-Cio-San, dans une mise en miroir où le destin de l’héroïne de l’opéra est rejoint par celui de la metteure en scène fictive du spectacle, Maiko Nakamura, native de Nagasaki émigrée en Europe.
Sous les lumières habilement calibrées par Alejandro Le Roux, la scénographie minimaliste de Mariane Tirantte, toute en noir et blanc, épurée comme quelque estampe japonaise, se résume à un espace meublé par un pentaèdre aveugle, symbole de la maison, de pacotille comme son mariage, que Pinkerton paie pour Cio-Cio-San. Dans cette forme, suspendue plus tard comme une menace, se lèveront, au fil de l’attente, les différents calques superposés devant l’image d’une frondaison en fleurs, jusqu’à la révélation de la tragique désillusion. En contrepoint, les vidéos de Juan Fernandez Gebauer et Raina Todoroff, décrivent la crise que traverse Maïko Nakamura, lassée d’être cantonnée à l’exotisme japonisant, et qui retourne dans son pays qu’elle avait quitté il y a longtemps. Ce désir d’être une autre lui sera fatal, comme à la jeune geisha de l’opéra. Sans jamais travestir le livret, ce récit à deux strates qui évoluent en parallèle avant de finir par coïncider, fait ressortir l’une des profondes vérités humaines de Madame Butterfly, recouverte habituellement par le vernis orientalisant, qu’il soit traditionnel ou modernisé.
Par-delà l’exotisme
Cet affranchissement envers les stéréotypes usuels se traduit également dans l’interprétation musicale. Celine Byrne incarne la quintessence de l’intensité passionnée du rôle-titre, avec une maturité inhabituelle dans le timbre qui souligne, sans les minauderies souvent d’usage, une féminité blessée. Cette même décantation se retrouve dans l’ensemble des personnages japonais. Lotte Verstaen révèle la bienveillance de Suzuki avec un mezzo homogène. Denzil Delaere évite de manière bienvenue les caricatures mordantes de l’entremetteur Goro. Membre du Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres, Hugo Kampschreur résume les languissements de Yamadori. Derrière les imprécations du Bonze de Nika Guliashvili se presse toute une parentèle confiée à des chanteurs du choeur, préparé efficacement par Jef Smits, tandis que les interventions du commissaire impérial reviennent à Mikhail Golovushkin. Vincenzo Neri campe l’impuissance du consul Sharpless devant la forfanterie puis les remords du Pinkerton, moins matamore que certains ténors, de Ovidiu Purcel, aux côtés de Kate, dévolue à Mathilda Siden Silfver, étudiante de l’International Opera Academy apparaissant au premier acte en mère de Cio-Cio-San. Dans la fosse, Daniela Candillari accompagne la vitalité dramatique d’un grand classique du répertoire qui trouve là une nouvelle vision à même de devenir une référence contemporaine – et qui pourrait avantageusement remplacée la production désormais momifiée de Robert Wilson à l’Opéra de Paris.
Par Gilles Charlassier
Madame Butterfly, Opéra des Flandres, à Anvers et Gand, septembre-octobre 2024