Chaque soir, au Théâtre des Nouveautés, le roi Béranger 1er se meurt, emportant avec lui ce qui reste de réel : son entourage, son château, son royaume et même l’univers tout autour, à commencer par le soleil qui ne daigne plus diffuser sa chaleur. Et ce roi n’est pas n’importe qui, puisqu’un des meilleurs acteurs français de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du nôtre lui prête sa présence remarquable. A 87 ans, alors qu’il avait annoncé la fin de sa carrière sur les planches pour ne donner l’exclusivité de son talent qu’au cinéma, Michel Bouquet reprend le rôle de ce despote mourant pour la quatrième fois depuis 1993. Ce rôle, c’est sûr, il n’a plus besoin de l’apprendre et il n’a pas non plus besoin de prouver qu’il sait l’incarner – il a obtenu le Molière du meilleur acteur en 2005 – mais il restera toujours à révéler les caractères insoupçonnés du personnage d’Eugène Ionesco. De plus, avec le temps et l’évolution des choses qu’il implique, l’insolence puérile de ce souverain peut entrer en des résonances imprévues avec l’actualité. Il s’agît d’ailleurs d’un roi moderne qui partage sa fin de vie entre sa première femme, la Reine Marguerite, campée par l’inénarrable Juliette Carrée -Mme Bouquet à la ville, et la seconde, la très jeune et jolie Reine Marie (Nathalie Bigorre). La mise en scène de Georges Werler, inscrite dans un décor sobre et élégant, montre avec subtilité la confusion intime qui règne autour du monarque. Dans l’espace restreint qu’offre la scène du Théâtre de Pascal Legros, l’attente mêlée d’espoir et de résignation autour du trône inconfortable prend l’aspect d’un drame familial. Cette attente, ce sentiment d’impuissance devant l’issue fatale est judicieusement matérialisé par des ruptures silencieuses qui ponctuent le flot des paroles vaines des protagonistes.
Un conte absurde, entre rire et larmes
Le monde du roi Béranger n’est pas tout à fait celui que nous connaissons, c’est celui d’un conte inventé en 1962 par un Ionesco au sommet de son art. La pièce est une longue métaphore filée sur la difficulté de rester maître de sa volonté lorsque la fin se fait proche. Tout le monde, sauf Marie, aveuglée par l’amour, commande au roi d’abandonner, de renoncer tout simplement à vivre. Or le roi ne veut pas mourir, il n’est pas prêt, il aimerait bien rester là encore un peu… Mais il est trop tard pour le vieux tyran de se préparer à la mort, elle s’est déjà emparée de son esprit et de son corps, de sorte que plus un de ses sujets n’obéit à ses ordres insensés, plus un de ses mouvements n’est possible sans le tendre appui de la reine Marie. Il a fait l’enfant durant toute sa longue existence, à chaque siècle il repoussait l’échéance, préférant les amours, les conquêtes ou voir tomber les têtes de ses rivaux, alors il n’est plus temps d’anticiper sur ce que deviendra le monde après son règne et donc, après lui, le déluge ! En tant que méditation sur la mort, ou plutôt sur « comment vivre avant de mourir », l’objet de cette pièce peut sembler déprimant et déjà faire fuir ceux qui vont au théâtre pour s’amuser. Mais comme souvent chez Ionesco, ici le drame côtoie la comédie, le sérieux l’absurde et les larmes le rire. Et on rit franchement de voir ce roi ne pas vouloir mourir. Le comique est dans le texte certes, dans les annonces incongrues du garde par exemple, mais aussi et surtout, dans le jeu hyper maîtrisé de cette équipe de comédiens. Il faut venir pour l’irrésistible débit de parole de la Reine Marguerite qui, d’une voix rauque et tendue, assène sans ménagement l’insoutenable vérité à celui qui va mourir. Et il ne faut surtout pas manquer la prestation de Michel Bouquet, pour ce qui sera sûrement son dernier rôle au théâtre, vous passeriez à côté d’un des derniers monuments vivants…
Par Romain Breton
Le Roi se Meurt, d’Eugène Ionesco, au Théâtre des Nouveautés, jusqu’au 31 décembre 2012