La bonne humeur de circonstance pour les programmations de fin d’année ne condamnent pas à l’opérette viennoise, aux bouffonneries d’Offenbach, voire au music-hall. Après, l’an dernier, la reprise, avec Le Barbier de Séville de Rossini, de l’un des premiers spectacles lyriques de Mariame Clément, l’Opéra national de Lorraine remet à l’affiche une comédie belcantiste sur le thème multiséculaire des ridicules appétits matrimoniaux des vieux barbons, déjoués par la ruse – le plaisir des voix joue ainsi un irrésistible pas de deux avec le rire de l’édification morale. Ouvrage de la dernière maturité de Donizetti, Don Pasquale resserre le schéma dramatique au maximum avec un quatuor de solistes : le couple de jeunes amants, soprano et ténor, contrarié par un patriarche et secondé par un autre baryton.
Pour sa première mise en scène en France – coproduite avec Rouen et Nice –, Tim Sheader, figure bien connue outre-Manche, en particulier dans la comédie musicale, rafraîchit cette trame immémoriale à l’aune d’une série comme Succession, où s’aiguisent les rivalités de l’héritage d’un magnat inspiré par Rupert Murdoch. Le héros éponyme de l’opéra est ainsi à la tête d’un empire condensé en un building rotatif – dessiné par Leslie Travers – à l’effigie de Don Pasquale dont les lettres forment les façades des bureaux, tandis que l’intérieur impeccablement ciré a des allures de musée de vieux célibataire, l’ensemble étant meublé de figurants, côtés office et domestique. Quant au neveu Ernesto, il a l’allure d’un adolescent nonchalant qui préfère la trottinette aux affaires.
Un Don Pasquale dépoussiéré emmené par la Norina de Vuvu Mpofu
Pour autant, la scénographie ne se réduit à un néo-réalisme télévisuel. La vis comica, affleurant aussi dans les costumes démodés de Jean-Jacques Delmotte, qui habille depuis plus de vingt ans les spectacles de Laurent Pelly, s’épanouit au troisième acte avec, parmi les frasques de l’épouse au retour de l’entracte, des bonhommes de neige gonflables rose, clin d’oeil qui se permet une menue adaptation du livret – le mois d’avril devient logiquement décembre. Rehaussée par les lumières de Howard Hudson, cette relecture alerte se conclut sur l’affirmation de l’indépendance farouche de Norina qui se moque des avances de Malatesta et n’a pas besoin de renoncer aux noces.
Dans le rôle de cette maîtrise-femme, Vuvu Mpofu se glisse avec une gourmandise qui n’a d’égale que la saveur d’un timbre aussi pétillant que lyrique, distillant une ligne de chant à la fois souple et colorée qui aimante l’ensemble de la distribution – et, à juste titre, l’attention du public. A l’opposé de cette jeunesse frémissante, dans un contraste qui en devient d’autant plus efficace, Lucio Gallo privilégie une évidente présence déclamatoire d’un Don Pasquale présomptueux, aveugle, et finalement pas entièrement antipathique dans sa faiblesse. German Olvera ne démérite aucunement en Malatesta par des moyens solides qui se passent sans doute d’un peu de nuances. Remplaçant Michele Angelini, Marco Ciaponi séduit par la légèreté d’un phrasé tout en joliesse, d’une italianité idéale pour la naïveté parfois impulsive d’Ernesto, à défaut de posséder la consistance suffisante du matériau vocal, aux limites sensibles à l’instar d’une émission trop serrée. Sous la baguette experte de Giulio Cilona, la fosse met en valeur la sève belcantiste de la partition, dans un équilibre maîtrisé avec le plateau que complètent les interventions du choeur préparé par Guillaume Fauchère, et dont s’extrait Séverine Maquaire pour la brève ratification du notaire. Un dépoussiérage plutôt consensuel de Don Pasquale à portée de tous les publics : le pari de l’Opéra national de Lorraine pour les fêtes est tenu.
Par Gilles Charlassier
Don Pasquale, Opéra national de Lorraine, Nancy, du 15 au 23 décembre 2023