4 février 2025
Un Crépuscule des dieux pour l’orchestre à La Monnaie

Avec Le Crépuscule des dieux, le Théâtre de La Monnaie referme le Ring que l’institution bruxelloise avait initiée la saison dernière, avec Romeo Castellucci, auquel a succédé Pierre Audi, cette année à partir du troisième volet, Siegfried. Pour la conclusion du cycle, la partie la plus conséquente avec quatre heures et demie de musique – et avec deux longs entractes, cela fait six heures de spectacle –, on retrouve les grandes lignes scénographiques de l’actuel directeur artistique du festival d’Aix-en-Provence. Comme dans Siegfried, la mosaïque mobile de Chris Kondek à partir d’éléments vidéos d’un atelier pédagogique d’enfants s’identifiant aux héros de la geste des Nibelung meublent le Prélude, crochet avec la transmission du patrimoine légendaire qui ne subit pas plus de traitement dramaturgique singulier que les éléments symboliques du décor dessiné par Michael Simon – la seule idée vraiment originale du spectacle est l’évocation de la gémellité incestueuse entre Gutrune et Gunther, comme un miroir à celle de Siegmund et Sieglinde, sacrifiées l’une et l’autre, mais sans tirer de parti au fil d’une narration d’images. Restent les lumières évocatrices par Valerio Tiberio, même si l’anneau irradiant comme la suggestion de quelque horizon eschatologique ne présente pas plus d’innovation que les costumes sans époque de Petra Reinhardt.

Une magistrale direction orchestrale

Avouons cependant que ce n’était de toute façon pas dans la proposition scénique que les attentes étaient placées. Du plateau vocal, c’est sans doute la Brünnhilde d’Ingela Brimberg, dont l’éclat s’est enrichi depuis La Walkyrie qui donne le meilleur de son incarnation wagnérienne dans cet ultime épisode. Malgré une direction d’acteurs minimale, elle rend perceptible, particulièrement au dernier acte, l’intelligence d’un personnage qui a traversé les turpitudes humaines. Bryan Register ne manque pas d’héroïsme en Siegfried, tandis qu’Andrew Foster-Williams met en valeur la vaillance hésitante de Gunther, attaché à sa sœur Gutrune, dont Anett Fritsch réveille un peu de personnalité lors de son ultime apparition. Ain Anger impose la brutalité de Hagen, que tenaille l’ombre d’Alberich portée par le mordant émérite de Scott Hendricks. Nora Gubisch réveille les inquiétudes prophétiques de Waltraute. Marvic Monreal, Iris van Wijnen et Katie Lowe forment une complémentaire triade de Nornes, à l’instar de celle formées par les trois filles du Rhin – Tamara Banjesevic, Jelena Kordic et Christel Loetzsch. Préparés par Emmanuel Trenque, les choeurs font résonner l’entrain et la violence de la foule.

Mais c’est indubitablement pour la direction d’Alain Altinoglu qui motivait de traverser la frontière – et qui confirme, comme on l’a déjà dit, qu’il est l’une des meilleures baguettes wagnériennes du moment. La lourdeur récapitulative du récit au Prologue et au premier acte n’est pas toujours aisée à équilibrer, de même que la puissance massive des débats à la cour de Hagen, où la densité de la palette doit composer avec le risque de la saturation. C’est, à l’évidence, dans le dernier acte, que la générosité du chef français s’épanouit le mieux, en faisant chatoyer la richesse suggestive des couleurs et des textures d’une partition qui se referme sur un épitomé des grands thèmes traversant une fresque, dont Alain Altinoglu met à jour les rouages avec un exemplaire sens de la vitalité théâtrale. A La Monnaie, la vérité wagnérienne rayonne depuis la fosse.

Par Gilles Charlassier

Le Crépuscule des dieux, Théâtre de La Monnaie, Bruxelles, février-mars 2025.

Articles similaires