La reprise d’un spectacle, avec de nouveaux interprètes permet parfois de le redécouvrir sous un autre visage. C’est ce qui se passe à l’Opéra de Rennes, avec Le Couronnement de Poppée mis en scène par Ted Huffman, coproduit avec le Festival d’Aix-en-Provence et qui ouvre la saison de la maison bretonne. Rien que la profondeur du plateau – légèrement moindre que celle du Théâtre de Jeu de Paume, qui a contraint à rajouter un discret prolongement au-dessus de la fosse et renouvelle la sensation de proximité avec les chanteurs – compte parmi ces détails qui réinventent le regard. On retrouve la scénographie épurée de Johannes Schütz et adaptée ici par Anna Wörl – espace nu où les coulisses et les portants mobiles, pour le vestiaire dessiné par Astrid Klein, sont à vue, meublé épisodiquement de quelques rares éléments, à l’exemple de la table où s’exalte l’amour tyrannique de Néron et se noue la condamnation de Sénèque. La poutre en suspension, peinte moitié en noir, l’autre en blanc, qu’une impulsion met parfois en lente rotation et qui s’abaisse lors du duo final, symbolise l’ambivalence opportuniste des valeurs sous un Destin mené par le désir et aveugle à la morale. Les lumières tamisées par Bertrand Couderc rythment avec une poésie décantée la fluidité narrative de ce Couronnement de Poppée ramené à ses dimensions chambristes.
Car le dernier opéra de Monteverdi a connu différentes versions, au gré des moyens des théâtres où il était donné, comme il était d’usage dans l’Italie du XVIIème siècle – et des manuscrits conservés. Celle retenue par Leonardo Garcia Alarcon à Aix, et que reprend Damien Guillon avec ses musiciens du Banquet Céleste, s’appuie sur un orchestre aux dimensions d’un continuo élargi, à une douzaine de pupitres, dans l’esprit madrigaliste au service de la déclamation chantée, et fait ainsi l’économie de séquences plus chorales comme la célébration du couronnement – en symbiose avec une concentration scénique sur la quintessence des situations et des émotions.
Raffinement orchestral et chatoiement vocal
Certaines attaques un peu brillantes, qui peuvent souffrir d’une certaine verdeur, ou le tressage du continuo, n’affirmant pas la même liberté ni égale extraversion que Cappella Mediterranea, sont plus que compensés par l’exquise délicatesse dans le lyrisme mélodique, en particulier dans les pages intimistes, à l’exemple de la berceuse d’Arnalta ou de l’ultime duo d’amour, où la souplesse parfois évanescente du phrasé condense une expressivité magnifiée par la sobriété des effets.
Les incarnations de la distribution rennaise se révèlent au diapason du raffinement calibré par Damien Guillon. Catherine Trottmann cisèle l’irrésistible féminité de Poppée, portée par un babil fruité et moelleux qui s’oppose à l’austérité jalouse de Victoire Brunel en Octavie, dont les répliques de la Vertu dans le Prologue donne les prémices. Contre-ténor à l’émission claire et mordante, Ray Chenez fait vibrer l’ivresse de pouvoir d’un Néron à la cruauté plus que latente, et contraste avec le timbre plus élégiaque de Paul-Antoine Bénos-Djian, un des deux solistes présents à Aix – avec Yannis François qui apparaît en licteur et troisième familier de Sénèque – et qui se confirme comme l’un des meilleurs Othon d’aujourd’hui. Dans les emplois de travestis, Paul Figuier se montre plus à l’aise en nourrice d’Octavie qu’en Arnalta – plus savoureux quand la matrone de Poppée est confiée à un authentique ténor – et intervient également en familier du Sénèque robuste d’Adrien Mathonat aux côtés de Sebastian Monti, ce dernier par ailleurs Lucain et formant la paire de soldats avec Thibault Gavaja, lequel se fait aussi messager en Libertus. Maïlys de Villoutreys se distingue par une fraîcheur vigoureuse, en Fortune et plus encore en Drusilla, quand Camille Poul, un peu sur la réserve en Amour, donne en Valet toute la mesure de son soprano coloré et à la juvénilité frémissante. On l’aura compris, ce Couronnement de Poppée est l’une des belles réussites de la rentrée !
Par Gilles Charlassier
Le Couronnement de Poppée, Opéra de Rennes, jusqu’au 8 octobre 2023