Un boeuf d’enfer

L’expression « faire un bœuf » tire son nom du célèbre restaurant de la rue Boissy d’Anglas où se réunissaient Cocteau et ses amis – en particulier les musiciens du groupe des Six : Honeger, Milhaud, Auric, Poulenc, Duray et Germaine Tailleferre, avec comme parrain, Eric Satie. L’un des usages était les « jam sessions », improvisations avec des duos qui pouvaient se créer à la minute au gré des rencontres autour des pages les plus célèbres. Presque cent ans plus tard, Alexandre Tharaud, fasciné par les années 20 et ses comparses dans lesquels on retrouve Bénabar, Juliette, Nathalie Dessay ou encore Guillaume Galienne ont voulu rendre hommage à ces années que l’on a appelées « folles » et au duo des pianistes Jean Wiener et Clément Doucet. Le jazz bien sûr mais également du fox-trot ou de la musique française avec Maurice Chevalier, habitué du lieu jusque tard dans la nuit…
Ainsi se surprend-on à swinguer avec Chopin, Wagner, Liszt dans une version fox-trot créée par Clément Doucet puis entendre le tango des Fratellini ou du blues grâce à  Gershwin, avec cette idée que la musique n’est pas toujours cet art sérieux à écouter doctement dans les larges fauteuils du Théâtre des Champs-Elysées ou de la Salle Pleyel, en méditant ou en dormant profondément… Bousculer ainsi en deux minutes La Mort d’Isolde démontre une dose de culot que le titre de cette reprise de Wagner,  Insoldina, ne cache pas. On s’encanaille pas mal comme avec cette chanson Henri pourquoi n’aimes-tu pas les femmes, parfaitement dans l’esprit léger et irrévérencieux de l’entre-deux-guerres.
Jamais le sourire ne déforme une élégance sans reproche. En cela chacun des interprètes distille une jubilation musicale communicative, même si tant de fantaisie semble s’arrêter en trop bon chemin. Car les parodies sont un moyen largement aussi valable que les exhumations académiques pour élargir son répertoire, et autrement plus amusant… Alors si on aime bien ce bœuf là, on en attend avec impatience une myriade d’autres – et avec un soupçon supplémentaire de décontraction. En ces temps moroses, cette nostalgie ne peut que faire du bien et c’est en toute logique que ce CD de 26 titres se retrouve dans la sélection des prochaines Victoires de la musique classique qui seront remises le 25 février prochain, au titre de meilleur enregistrement face à Tchaïkovski et Debussy…

Par Gilles Charlassier

Le Boeuf sur le toit, Alexandre Tharaud chez Virgin Classics

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