2011 aura donc été l’année des réseaux sociaux, qui ont joué un rôle, si ce n’est central comme certains l’ont écrit un peu vite, du moins important dans certains mouvements du « Printemps arabe ». Et si, en 2012, ils venaient perturber l’élection présidentielle en France ?
C’est un sujet qui a déjà été soulevé, mais qui n’a toujours pas trouvé de réponse. C’est même devenu, depuis un bon moment déjà, un des chevaux de bataille de Guy Birenbaum : Facebook et Twitter, vont-ils changer la donne de la future élection ?
Non pas que cette présidentielle se jouera sur les réseaux ou sur le web, comme de nombreux, et sans doute trop enthousiastes confrères l’ont affirmé un peu vite. S’ils constituent des outils potentiellement efficaces pour organiser l’action des militants des partis, le web en général et les réseaux sociaux en particulier sont encore un monde trop inconnu et, en partie hostile aux responsables politiques, pour que ces derniers s’y engagent vraiment.
Les candidats traditionnels un peu à l’ouest
Bien sûr, les challengers se serviront de ces nouveaux outils pour se faire connaître et faire circuler leurs idées. Mais aucun des candidats de poids-ceux qui ont une réelle chance de se retrouver au second tour- ne prendra ce risque en 2012. Nicolas Sarkozy, François Hollande, Marine Le Pen ou François Bayrou n’en connaissant ni le fonctionnement, ni les codes, ni le langage. A l’inverse des médias traditionnels qu’ils maîtrisent parfaitement, dont ils connaissent les interlocuteurs par cœur et au sein desquels ils ne prennent guère de risque tout en touchant un maximum de personnes, les réseaux et le web sont un champ de mine pour eux. Il est encore trop tôt pour eux, et c’est sans doute la prochaine génération d’hommes et de femmes politiques, aujourd’hui trentenaires, qui saura utiliser ces outils. Donc, la présidentielle 2102 ne se jouera pas sur les réseaux. Mais pourrait-elle s’y déjouer ?
Comme nul n’est censé l’ignorer, l’article 52 du code électoral explique clairement que « Aucun résultat d’élection, partiel ou définitif, ne peut être communiqué au public par la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, en métropole, avant la fermeture du dernier bureau de vote ». 3 740 € d’amende attendent les contrevenants éventuels. Mais les réseaux pourraient bien rendre cette interdiction caduque cette fois.
Scrutin connu en avance
En 2007, la chasse aux résultats et aux tendances était déjà un sport très couru, et des dizaines de milliers d’internautes se précipitaient dès 16 h ou 17 h sur les sites des journaux belges ou suisses pour connaître à l’avance l’issue du scrutin. Devant cet afflux de visiteurs, les sites en question passaient une bonne partie de la journée indisponibles et, finalement, l’information ne circulait que relativement peu. Les rédactions et les états-majors des partis étaient les seuls lieux disposant d’estimations fiables pour 18 h et le reste du pays devaient attendre la fameuse grand messe de 20 h pour connaître les qualifiés au second tour puis le nom du gagnant final.
En 2012, cet ordre établi a de grandes chances d’être sérieusement bousculé. Parce que 23 millions de français ont un compte Facebook et 3 millions un compte Twitter, chiffres qui vont encore augmenter d’ici là. Parce que la tentation sera sans doute beaucoup trop grande pour que l’information n’y soit pas mise en circulation. Parce qu’elle se répandra alors beaucoup trop vite pour que l’on puisse l’empêcher de toucher non plus des dizaines de milliers, non plus des centaines de milliers, mais sans doute des millions de Français. Parce qu’elle circulera avant que les bureaux de vote des grandes villes ne soient fermés et pourrait, ainsi, influer sur les votes des dernières heures. Le scénario paraît peu probable ou catastrophique ? En 2002, Jean-Marie Le Pen avait accédé au second tour de la présidentielle avec 194 600 voix d’avance sur Lionel Jospin. Soit à peine 6,5% du nombre d’utilisateurs de Twitter en France et moins de 1% du nombre d’utilisateurs de Facebook…
De quoi changer le résultat?
En 2002, Le Pen n’avait devancé Jospin que 194 600 voix, soit 6,5% des utilisateurs de Twitter en France…
Que se passerait-il alors, si le dimanche soir du premier tour, aux alentours de 17 h, l’information annonçant, par exemple, Marine Le Pen légèrement devant Nicolas Sakozy commençait à circuler ? Retwetée en masse, diffusée plus ou moins ouvertement sur Facebook, suffirait-elle à mobiliser 200 000 ou 300 000 électeurs des grandes villes dont les bureaux ne ferment que trois heures plus tard ? Le scénario n’a finalement rien d’improbable. Et quelle pourrait être la réponse face à un tel phénomène ? Condamner ceux par qui la fuite aurait lieu ? Il n’est pas du tout certain, doux euphémisme, que la menace suffise à les empêcher de sauter le pas. Les spécialistes du « fake », ces faux comptes Twitter, auront beau jeu d’en ouvrir par dizaines depuis n’importe quel cyber-café juste pour l’occasion et d’y tweeter allègrement les estimations. Bon courage pour le(s) retrouver. Et que se passera-t-il pour celles et ceux qui auront relayé l’info, tombant normalement sous le coup de la loi ? Le ministère de l’Intérieur devra-t-il poursuivre des milliers d’internautes ? L’élection pourrait-elle être remise en cause ? Si un recours était déposé par un candidat battu, un tribunal devrait alors estimer le nombre de personnes « touchées » par cette diffusion anticipée pour en évaluer l’influence possible sur le vote. Là aussi, bon courage…
Et la télé dans tout ça?
A moins que les résultats ne soient bel et bien diffusés sur les réseaux mais ne se retrouvent noyés au milieu des messages contradictoires et des faux chiffres qui circuleront alors, ce qui pourrait bien être l’issue la plus probable. Mais une fois de plus, le système traditionnel est bousculé par le numérique. Et il ne dispose, pour le moment, que de bien peu de réponses. Fermer tous les bureaux de votes à la même heure ? Interdire toutes les estimations et autres sondages de sortie de vote ? Mais là, ce sont les chaînes de télé qui verraient disparaître leur grand messe de 20 h… Décidément, si les réseaux ne feront pas 2012, ils posent de nouvelles questions auxquels les acteurs traditionnels de ce grand rendez-vous n’ont pas encore de réponses.