Fêté le dixième jour du dernier mois du calendrier islamique, l’Aïd el-Adha (« fête du sacrifice ») appelé aussi Aïd el-Kébir (« grande fête ») est tombé, cette année, le vendredi 26 octobre. Jour férié dans les pays musulmans, il commémore la soumission d’Abraham à Dieu en acceptant de lui sacrifier son fils. L’archange Gabriel, envoyé par Dieu, sauva l’enfant en offrant un mouton à égorger à la place de l’enfant. Cette fête est l’occasion de se retrouver en famille. Elle marque aussi la fin du Hajj, pèlerinage traditionnel des pratiquants, à la Mecque.
Trois jours après le premier anniversaire, plutôt tendu, de l’élection des députés de l’assemblée nationale constituante pour la rédaction de la nouvelle constitution, l’Aïd aura été une courte trêve, permettant à tous et toutes de reprendre des forces et se remonter le moral dans un contexte économique et social extrêmement difficile.
Moutons roumains égorgés pour tunisiens étranglés
En début de semaine, d’étranges cadavres se sont échoués sur les plages du Cap Bon. Non pas des phoques comme l’ont déclaré les autorités face aux rumeurs qui ont enflé sur les réseaux sociaux, mais des moutons faisant partie du cheptel d’environ 100 000 ovins importés de Roumanie afin de combler la demande déficitaire de 5%, et qui ont soulevé des craintes de possibles maladies en cas de consommation de cette viande des Carpathes.
Inquiétudes bien légitimes du tunisien face aux prix bas. Faut-il faire confiance à une bête tarifée entre 280 et 350 dinars, au lieu de 350 à 500 DT pour les animaux méditerranéens, mais dont on peut craindre qu’il rende malade ?
Il faut dire que l’inflation n’épargne personne. Les prix des produits de première nécessité augmentent, comme celui du lait, étranglant un peu plus la population déjà dans une position financière critique.
Alors la possibilité de se procurer un mouton moins cher pour sacrifier à la tradition était tentante. Il a fallu au ministère du commerce la publication de l’attestation de contrôle sanitaire pour prouver que les moutons roumains étaient sains et ne souffraient d’aucune anomalie.
Trêve politique ? Pas sûr
Basses inquiétudes que les prix et l’état sanitaire des condamnés, dont n’a probablement pas souffert Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste au pouvoir Ennahdha, qui n’a pas manqué de commémorer l’Aïd en famille, lui aussi.
Après avoir passé plusieurs mois à tenter de diviser la société tunisienne entre « bons » musulmans et « mécréants » (laïques), le cheikh s’est fait reprendre assez vertement par son homologue du parti Nidaa Tounès, Béji Caïd Essebsi. L’ancien premier ministre a tenu à souligner qu’il doutait « que Rached Ghannouchi soit un bon musulman », se prétendant même « meilleur musulman que lui » ! Une petite guerre à laquelle Ghannouchi a répondu…par une vidéo. Une belle image d’Épinal où l’on voit femmes voilées et enfants rieurs, entourant un chef de famille tout sourire égorgeant son mouton lui-même sous l’œil presque attendri des caméras d’Hannibal TV. Geste écœurant s’il en est, l’égorgement du mouton par le leader islamiste a provoqué les sourires et les quolibets de certains citoyens opposants qui se sont ironiquement demandé s’il ne s’agissait pas là d’un message subliminal envoyé aux chefs de partis de l’opposition, Béji Caïd Essebsi en tête, lui qui se place en seule alternative à la politique d’Ennahdha, férocement islamiste.
La Tunisie entame une seconde période post-révolutionnaire critique. La constitution s’écrit péniblement et pose de nombreux problèmes, tandis que les partis politiques semblent plus occupés à penser à la prochaine élection présidentielle, et pas seulement en se rasant le matin, mais dont la date n’est pas encore fixée, qu’à la reconstruction du pays et au bien-être des citoyens. La société civile alterne entre des périodes de révolte et de découragement profond. Il est urgent que les vingt-cinq députés de l’assemblée nationale constituante tirés au sort pour effectuer le pèlerinage de La Mecque reviennent et se remettent au travail.
Le peuple compte en effet sur eux afin d’assurer une transition démocratique qui peine à faire face aux craintes de plus en plus précises de l’installation d’une dictature théocratique.