La nouvelle est tombée fin mars: les hébergeurs de sites et de micro-blogs devront fermer les sites pornographiques, les sites de jeux en ligne et… les forums «illégaux» de discussion et d’activité contre-politiques – comprendre tout ce qui évoque la vie, le parti, ses fonctionnaires, dans un sens autre que celui de la propagande… Ces fournisseurs ont aussi l’obligation de mettre en place d’ici au mois d’aout l’enregistrement nominatif de chaque internaute, enterrant ainsi cette formidable soupape que représentait la possibilité d’une parole libre et anonyme sur internet.
Il faut dire que des micro-blogs avaient évoqué récemment un possible coup d’état militaire à la tête de l’état chinois. Des chars auraient été vu dans Pékin. Info? Intox ? Profitant de l’occasion, l’arsenal répressif s’est mis en place : depuis mars, 210 000 messages ont été supprimés, 46 sites ont été fermés, 6 personnes -officiellement-ont été arrêtées, et les deux principaux sites de micro-blogging, QQ et Weibo, ont été obligés, en punition pour avoir laissé de telles contre-vérités circuler, de couper pendant trois jours la fonction «commentaire» de leur site -on parle ici de centaines de millions d’utilisateurs dans l’incapacité d’utiliser les micro-blogs. Une «panne» coupa même l’accès à tous les sites étrangers pendant quelques heures. Le message est clair, on reprend les choses en main.
Révolution Culturelle et Iphone roi
Si on présente souvent la Chine au travers de sa réussite économique, il ne faut pas s’arrêter aux acquisitions d’entreprises, Rolex, grand crus et autres signes extérieurs de richesse lorsque l’on regarde la situation politique chinoise. Peut être plus qu’ailleurs, l’économie en Chine dépend du politique, ou plutôt, appartient au politique. Et c’est le politique qui parle, pour la première fois en trente ans de la Révolution Culturelle.
Le terme fait peur. La «Grande révolution culturelle prolétarienne» a décimé entre 400 000 et un million de personnes entre 1966 et 1976. Cette période noire de l’histoire de Chine pendant laquelle des clans opposés se livrèrent une lutte armée sans merci pour le pouvoir est une histoire dont, en Chine, on ne parle pas. On regarde l’avenir, on laisse le passé, surtout le passé qui dérange, loin derrière. Comme disait le successeur de Mao, Deng Xiaoping, le même qui donna l’ordre de tirer sur les étudiants de Tiananmen, « peu importe la couleur du chat, l’important est qu’il attrape les souris ». La souris, en l’occurrence, était de parvenir à un développement économique régulier grâce au contrôle exercé par le Parti sous la forme d’un capitalisme d’Etat. Ceci autant pour élever le bien-être de la population que pour préserver les intérêts de ses représentants…
De nécessaires réformes
Depuis lors, depuis la mort de Mao et la réhabilitation des victimes de la Révolution Culturelle au début des années 80, on n’en parle plus. Ni dans les écoles, ni dans les universités, ni dans les journaux, nulle part. Alors, quand dans un discours qui fera date, le très officiel Premier Ministre Wen Jiabao, la mentionne récemment pour exprimer les dangers qui menacent la Chine d’aujourd’hui, cela ne peut qu’attirer l’attention. « Sans réformes politiques, a-t’il dit en substance, il sera impossible d’engager les nécessaires réformes économiques dont la Chine à besoin pour maintenir son développement . Les gains de ces dernières années pourront alors être perdus»(…), «les nouveaux problèmes auxquels la société chinoise fait face ne seront pas résolus et des tragédies comme la révolution culturelle pourront survenir de nouveau ».
Lorsque nous lisons les mots «réformes» «politique» ou «révolution culturelle», nous pourrions nous dire que quelque chose est en train de changer en Chine, et ceci au plus haut niveau de l’état. Nous pourrions nous dire que le premier ministre veut ouvrir le pays, qu’il est le gentil, celui qui veut faire bouger les choses, et que le méchant est son adversaire de toujours, le néo-maoiste Bo Xilai, le trop voyant maire de Chongqing récemment destitué de toutes ses fonctions.
Certains commentateurs étrangers ont souligné, avec toutes les précautions d’usage car Wen Jiabao est coutumier du fait, que c’était l’appel au changement le plus puissant du premier ministre à ce jour. D’autres ont pointé le fait que la mention publique de la Révolution culturelle coïncide avec la destitution de Bo Xilai et la mise au placard de sa rhétorique «rouge». Les relais médiatiques de Bo farouchement nationalistes – dont le site Utopia dont nous parlions en novembre dans l’article Une question de sens- ont été a leur tour, par un amusant retour de bâton, censuré par le ministère de la propagande. D’autres enfin rappellent que, s’il appelle régulièrement aux réformes, il n’a pas réformé grand chose pendant ses dix années d’exercice…
Mais on est en droit de se demander, dans un pays qui a banni la révolution culturelle de sa mémoire, à qui s’adresse Wen Jiabao ? Certainement pas aux jeunes internautes qui, entre une éducation historique dépouillée des réalités dérangeantes et une information formatée par le ministère de la propagande, n’ont qu’une très vague idée de la réalité sanglante que porte ces termes. Certainement pas non plus à la population plus âgée qui a du faire en silence le deuil de ses morts et, à travers eux, de cette culture chinoise pluri-millénaire que les fonctionnaires aiment tant à revendiquer alors qu’ils furent les premiers à l’éradiquer. Alors à qui s’adresse son message ?
Une petite analyse de la rhétorique d’appareil…
La lutte pour les neuf sièges de l’instance la plus puissante de l’appareil politique chinois fait actuellement des ravages. Le comité permanent du bureau politique du Parti change une fois tous les dix ans et c’est cette année que les chaises vont tourner. Lorsque Wen Jiabao brandit l’épouvantail de la Révolution Culturelle, c’est peut être bien plus pour rappeler ses ouailles à l’ordre que pour stigmatiser un adversaire déjà cloué au pilori. Avec cette mention étonnante de la révolution culturelle, Wen Jiabao nous donne peut être une bonne indication de la violence des luttes intestines pour le contrôle du Parti et de l’immense manne financière que procurera un siège au conseil d’administration de l’état chinois.
Pour lui, la révolution culturelle est une «tragédie historique» et personnelle -son père en fut une victime- mais, dans une logique d’appareil, ce chaos est surtout né d’une lutte fratricide pour le pouvoir. Le parallèle avec la situation présente saute aux yeux. Les tensions actuelles sont si violentes que le Parti est obligé de briser la sacro-sainte image d’unité qu’il maintient depuis 30 ans en sacrifiant, y compris médiatiquement, un de ses membres les plus importants. Le message du premier ministre est dès lors clair: on rentre dans le rang, sinon cela va saigner…
Réforme, réforme ne vois-tu rien venir?
Le terme «réforme» que Wen utilise ne désigne peut être pas ce qu’une oreille occidentale aimerait entendre, soit un synonyme d’«ouverture», de «transparence», de «liberté». Un mot peut prendre bien des sens selon la réalité qu’on lui accole, surtout en Chine…
Depuis les Jeux Olympiques de 2008, le contrôle des médias et la répression des dissidents se sont accentués. Cet automne, juste avant la fin du dernier congrès du Parti, une loi a été votée permettant d’emprisonner au secret, sans procès, toute personne menaçant la sécurité de l’Etat. L’appréciation de cette possible «menace» étant bien évidemment laissée à la discrétion des forces de police… La pratique existait -on se souvient d’Ai Wei Wei emprisonné au secret pendant 81 jours l’année dernière- il manquait la loi. Voilà qui est fait.
Cette loi, applicable à tous les citoyens chinois, pourra ainsi servir à faire taire autant ces pétitionnaires qui réclament un juste prix pour leurs terres que ces micro-bloggers qui dénoncent les abus des petits -ou grands- fonctionnaires. Elle pourrait aussi servir à enfermer ces mêmes officiels sans autre forme de procès…
Après la série d’affaires sanitaires, politiques et financières qui ont impliqué de très nombreux officiels ces dernières années, la vindicte médiatique savamment orchestrée contre l’ex-très officiel Bo Xilai, et sa femme que l’on accuse de s’être débarrassé comme au bon vieux temps -c’est-à-dire avec du poison- d’un intermédiaire anglais qui en savait trop sur une probable évasion de capitaux, écorne très sérieusement l’image du Parti en montrant ce que tout le monde sait : que la corruption touche tous les maillons de l’Etat et au plus haut niveau. Les micro-blogs, véritables dazibaos virtuels, ont relayés ces affaires, ces abus et cette rancoeur populaire qui, du moins vu d’occident, semble monter en puissance. L’appareil politique à pris conscience de ce danger et cadre, avec sa fermeté habituelle, ces «écarts de langage»,semblant vouloir resserrer son contrôle sur le pays.
Ainsi, dans son histoire, la Chine a connu bien des périodes d’ouverture et de fermeture. Il faut souhaiter que nous ne soyons pas à l’aube d’une radicalisation violente de sa situation intérieure qui ne manquerait pas, encore une fois, de faire payer à sa population un lourd tribut de larmes et de sang.