Il y a deux semaines, Bruxelles a encore averti Bruxelles. Paradoxe des mélanges, Bruxelles, capitale de fait de l’Union européenne, fait figure ― comme dans tous les autres pays membres lorsque l’occasion se présente ― de monstre technocratique face à Bruxelles, capitale de la Belgique. Comme bon nombre de pays européens, sortir de la crise semble une priorité, mais il faut fabriquer des budgets de bric et de broc, des budgets de serrage de ceinture ; la rigueur, partout. Le premier ministre Elio Di Rupo, après moultes nuits blanches, a donc sorti un budget comprenant 11 milliards d’euros trouvés dans le rabotage des niches fiscales ou dans la création de nouveaux impôts ― et autres… Le gouvernement papillon, qualifié aussi de « centre centre » par son Premier Ministre, croyait avoir accompli sa mission aux yeux de la Commission européenne, gardienne des traités et donc, gardienne des déficits.
Dans son rôle, cette dernière a rejeté le budget belge. Elle a estimé que le déficit budgétaire prévu à 2,8 % du PIB se basant sur une croissance de ce dernier de 0,8 % était irréaliste. Le déficit dépasserait en fait tout juste la barrière des 3 % autorisée par le Traité de Maastricht. D’abord, il y a eu des réactions mathématiques : le ministre du Budget, Olivier Chastel, accusa la Commission de s’être trompée.
Et puis, il a bien fallu trouver l’argent, soit 1,3 milliard d’euros -en attendant 850 millions en février- supplémentaires. Gel de dépenses militaires, gel de dépenses d’infrastructures ferroviaires par exemple et, pour la symbolique, le roi des Belges, Albert II, a accepté lui aussi un gel des dotations royales. Les députés, eux, verront leurs salaires baisser de 5 %.
Plus de 500 jours de gestation pour donner naissance au papillon
Voilà pour Bruxelles, face à sa douloureuse contradiction européenne. On en serait presque à oublier les problèmes internes propres à la Belgique. L’antagonisme Flamands/Wallons; avec les Bruxellois, le cul entre deux chaises comme habitants d’une capitale aimée et tout aussi détestée. Pour rappel, Bruxelles est officiellement bilingue en néerlandais et français ; majoritairement francophone, enclavée en Flandre ― où l’on parle néerlandais, vous l’aurez sans doute compris… Une situation bien spéciale au cœur d’un pays -lui-même officiellement trilingue, avec l’allemand, livré à des blocages institutionnels à répétition au niveau fédéral. Exemple : le 6 décembre 2011, le gouvernement papillon, composé de 3 partis politiques flamands et de 3 francophones, a prêté serment après 541 jours d’absence gouvernementale à la suite des élections législatives de juin 2010.
Pendant ces 541 jours, la Belgique aurait pu cesser d’exister. C’est du moins ce qu’espéraient en surface les indépendantistes flamands de la Nieuw-Vlaamse Alliantie (la N-VA, Alliance néo- flamande) et quelques-uns de leurs alliés régionaux du parti chrétien-démocrate historique, le CD&V. Sans oublier le Vlaams Belang (VB, Intérêt flamand), qui est à la Belgique ce que tous les partis d’extrême droite sont au monde : un réservoir de haine. Pour tous ceux-là, la Belgique n’existe pas et la Wallonie est un cancer économique, une sorte de tumeur dont il faut se débarrasser. Il aura donc fallu écarter la N-VA de Bart De Wever, pourtant vainqueur des élections législatives, et la pression des marchés et de Bruxelles (retour au paradoxe de capitale européenne), pour arriver à un accord de gouvernement à six partis : les libéraux (Open-VLD pour les Flamands, MR pour les Francophones), les socialistes (SP-A et PS) et les chrétiens démocrates (CD&V et CDH).
Un avenir aux cultures entremêlées
La question de l’indépendance flamande ne se pose donc plus… jusqu’aux prochaines élections fédérales, dans deux ans et demi, ou jusqu’à la démission du Premier Ministre wallon du pays depuis 37 ans, le socialiste Elio Di Rupo ― la démission des premiers ministres est une sorte de coutume en Belgique. Et alors, quid de Bruxelles, capitale européenne, capitale et région administrative belge, en cas d’éclatement du pays ? Certains lui donnent un statut spécial d’indépendance, une sorte de Washington District à l’européenne. D’autres, bien sûr, la veulent flamande ― avec une population largement francophone- la chose est osée.
A observer la vie dans Bruxelles, à y entendre une trentaine de langues -les 23 de l’UE plus beaucoup d’autres, à entendre ce qu’il reste du bruxellois, à entendre ici de l’arabe, là de l’anglais et au coin du bar, voir un couple qui mêle le français et le néerlandais dans leur amour, il faut accepter l’évidence : même si la Belgique semble parfois se mourir, elle existe bel et bien. Et Bruxelles est ce lieu d’avant garde ― qui s’ignore pourtant ― réunissant le pays et acceptant sans complexe les changements inhérents à toute société.