«J’ai été témoin dans ma vie d’événements qui ont longtemps été considérés comme peu probables». Cette phrase est de Joachim Gauck, prononcée il y a deux ans et demi lorsqu’il s’était déjà présenté au poste de Président – à l’époque décroché par le candidat conservateur Christian Wulff. Ce qu’il s’est passé dimanche dernier à Berlin semblait en revanche déjà tranché avant même la tenue de l’Assemblée fédérale.
Suite à la démission attendue le 17 février dernier de Christian Wulff (CDU), soupçonné de corruption, les 1240 membres de la l’Assemblée fédérale, regroupant les 620 députés du Bundestag et les 620 représentants du Bundesrat, s’étaient réunis au Reichstag pour élire un nouveau Président à la République fédérale d’Allemagne. Soutenu par cinq partis – ceux de la majorité gouvernementale (CDU, CSU, FDP), les socio-démocrates du SPD et les Verts (Die Grünen) –, Joachim Gauck a obtenu une écrasante majorité dès le premier tour du scrutin : 991 des 1228 scrutins valables lui étaient favorables. Beate Klarsfeld, la candidate de l’extrême-gauche (Die Linke) « chasseuse de nazis », a réuni 126 suffrages et l’historien révisionniste Olaf Rose (NPD) 3 voix. 108 délégués se sont abstenus. La prestation de serment devant les deux Chambres n’est prévue que vendredi mais Gauck est déjà officiellement Président dans la mesure où il a accepté le résultat du vote. Succédant aux conservateurs Köhler et Wulff, le pasteur luthérien – militant des droits civiques dans l’ex-RDA et nommé en 1990 à la tête du Commissariat fédéral pour les archives de la Stasi – avait déjà concouru en 2010 pour le même poste, sans étiquette politique mais avec le surnom de « Président des cœurs».
Brillant orateur
Le Président et son statut ont occupé tous les débats récemment. La démission et l’énervement qu’a suscités le comportement de Wulff montre d’abord que les Allemands restent attachés à cette figure d’autorité morale, et qu’ensuite rares sont ceux qui peuvent dignement les représenter. Si le Président, élu pour cinq ans, a certes des taches assez limitées, beaucoup considèrent que Gauck ne se bornera pas à la simple lecture de beaux discours généraux ou universels. Après avoir déjà provoqué, énervé et froissé – la classe politique comme les citoyens –, il devrait continuer dans cette direction. Brillant orateur qui n’a jamais mâché ses mots, il sera en effet accompagné d’une image d’un Président bien plus gênant que celle de son lisse prédécesseur. Le SPD en a par exemple déjà fait les frais. Lors de la polémique déclenchée à l’automne 2010 par le socialiste Thilo Sarrazin et son livre ‘Deutschland schafft sich ab’ (évoquant l’immigration musulmane), Gauck avait qualifié l’ex-sénateur de Berlin de courageux, justifiant qu’il y «a un problème qui existe dans la société, celui de parler ouvertement de politique».
Les termes de démocratie et liberté, deux valeurs pour lesquelles il s’est toujours férocement engagé, ont été le fil conducteur d’un discours qui fera date. « Quel beau dimanche » : Gauck a introduit son propos en se souvenant de ce dimanche 18 mars 1990 où, pour la première fois, il pouvait librement voter. Constatant que lorsque la démocratie ne fonctionne pas, les hommes politiques ne sont pas les seuls à blâmer, Gauck a déclaré souhaiter rapprocher les dirigeants et les citoyens. Car à 72 ans, il a accompagné l’ex-RDA puis l’Allemagne dans ses nombreuses évolutions ; il a vécu et participé à ces transformations que son prédécesseur, le démissionnaire Christian Wulff (56 ans), a quant à lui découvertes dans les livres.
Attendu au tournant
Caressé par une brutale lumière printanière, Joachim Gauck a pris lundi ses quartiers au Château berlinois de Bellevue et ses fonctions accompagné d’une grande confiance accordée tant par les citoyens que par les partis politiques. En effet, selon un récent sondage pour la chaîne de télévision ARD, 80% des Allemands le considèrent crédible. Les attentes sont d’ores et déjà élevées : le public attend que l’honnêteté prime sur tout. Alors que le site de la Süddeustche Zeitung titrait dimanche après-midi « Le Président Moïse », l’intéressé a prévenu dans son discours : « Je ne serai pas en mesure de répondre à toutes vos attentes ». Invitée à commenter cette élection, Angela Merkel, bien que réticente initialement à la candidature du concerné, a assuré sur ARD-ZDF : « Gauck occupera bien sa fonction pour notre pays ». Le chef du vacillant FDP et accessoirement ministre fantôme de l’Economie, Philipp Rösler, allait même plus loin : « Gauck a déjà répondu à toutes les espérances que nous avons placées en lui avec son premier discours ».
En ce « beau dimanche », la population allemande a également connu deux nouveautés. Sur le ton de l’anecdote, la journaliste Daniela Schadt, 52 ans, concubine de Gauck depuis 2000, devient officiellement la «première petite amie d’Allemagne» – elle répétait dans les colonnes du Bild am Sonntag que le nouveau Président n’allait pas l’épouser pour des raisons protocolaires. D’un point de vue plus symbolique, les deux postes les plus élevés outre-Rhin sont désormais occupés par des enfants de l’ex-Allemagne de l’Est. Peu sont ceux à la chute du Mur qui auraient en effet parié sur une intégration aussi rapide. Merkel et Gauck au sommet, c’est l’un des résultats de la révolution de 1989 qui a changé le visage de tout un pays.