Sylvain Tesson est de retour parmi nous, pauvres sédentaires que nous sommes, se colletant à cette vie qu’il décrit avec une poésie revigorante dans son dernier livre au titre magnifique S’abandonner à vivre. La désillusion n’est cependant jamais loin, tapie dans chacune de ces dix-neuf nouvelles. « D’habitude, voyager, c’est faire voir du pays à sa déception »; l’écrivain nomade raconte ce monde, de Paris et ses gouttières propices à la « facture des amoureux » à l’Afrique des sans papier qui, comme Idriss traversent les mers, coincés dans « cette existence qui offrait l’alternative de cuire jusqu’à la mort sous le soleil d’Allah ou de pourrir de froid dans les fossés infidèles. » Le style, l’art de raconter une histoire avec des chutes jubilatoires, tout est là pour transporter le lecteur avec bonheur aux confins du Yunnan, ou en Sibérie, terre où « seul le fatalisme permettait de supporter la vie », sur les traces de Tatiana, avant qu’elle ne décroche le gros lot- un français lui offrant en Provence « une vie à acheter des choses derrière des vitrines et à les essayer devant les miroirs ». Oiseaux indicateurs, crabes samouraï, fées, Napoléon, c’est un inventaire à la Prévert que ces personnages inventés, autant de petits morceaux d’un puzzle délectable car parfaitement maitrisé.
Le regard est implacable, nourri des voyages et de toute la richesse que ceux-ci ont pu offrir à cet écrivain, qui confirme à travers ses histoires combien il a su échapper au lot de ceux qui « n’ont jamais honoré la dette contractée avec l’enfant qu’ils furent parce qu’il leur faut rembourser les crédits de l’adulte qu’ils sont devenus ». La chose est devenue si rare qu’elle produit ici un livre qui vous fera un bien fou, petit traité brillant et ô combien inspiré des temps modernes.
LM
S’abandonner à vivre de Sylvain Tesson, publié chez Gallimard, 17, 90 euros