« Est-ce que monsieur Guéant est venu faire un tour au musée du Quai Branly ? » Un anonyme s’interroge dans le livre d’or de l’exposition « Exhibition : l’invention du sauvage » actuellement présentée au Musée du quai Branly, lieu né du désir de Jacques Chirac de faire découvrir les collections d’art premier et de civilisations « indigènes ». Une exposition qui revient sur un pan de notre histoire peu glorieux : celui de l’invention du sauvage à travers les colonisations. Un sujet toujours aussi sensible comme le montre le dernier tollé dans les médias et la classe politique à la suite des dernières déclarations du Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant : « Contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas ». Voilà qui fait suite au discours à Dakar du Président Sarkozy soulignant au début de son mandat, avec une maladresse certaine, que « l’Afrique n’a pas d’Histoire ».
Petit rappel, le racisme est né de cette idée qu’une « race » est supérieure à une autre à l’époque où les Occidentaux commencèrent à découvrir des terres inconnues et les peuples qui y habitaient avec Christophe Colomb au XV ème siècle. Parce qu’ils étaient différents, il fut déduit qu’ils étaient inférieurs. Après avoir tourné en bêtes de foire des personnes au physique singulier – des nains, aux femmes à barbe, en passant par les enfants difformes- l’homme de l’époque s’amusa devant cette nouvelle tendance : l’exhibition des sauvages dits « exotiques ». Par curiosité d’abord, puis avec un sentiment de puissance face à ces étrangers qui n’étaient pas « évolués », ni civilisés. Les Occidentaux –l’Angleterre, la France et l’Allemagne principalement- ont ramené au total 30 000 personnes par bateaux pour les introduire dans des foires, des zoos, et toutes sortes de spectacles. Et pas moins d’ 1,5 milliard de visiteurs ont assistés aux exhibitions entre le 19e siècle et les années 1930 ou 1940. Un franc succès pour cette industrie du spectacle.
Hiérarchiser, premiers pas vers le racisme
Cartes postales, peintures, photographies. Autant de traces d’une mise en scène horrifiante dont l’homme blanc était le chef d’orchestre. Parallèlement, des études scientifiques ont été menées sur ces personnes différentes dont les cultures restaient si éloignées des nôtres. Ils effectuaient des moulages de leur buste, répertoriaient la pigmentation de leurs peaux, les disséquaient. Victime de ces pratiques, la « Vénus Hottentote » – une femme originaire du Cap Oriental avec une hypertrophie des hanches et des fesses, dont l’histoire « la Venus noire » fut portée l’an dernier à l’écran – est devenue le symbole du traitement affligé aux « races inférieures ». C’est le début d’un mouvement de pensée –apparemment toujours présent dans notre société- quant à la hiérarchisation des civilisations. La théorie de Darwin est de vigueur. Les noirs sont alors considérés comme le chaînon manquant entre l’évolution du singe et de l’homme.
Le Commissaire général de l’exposition, qui n’est autre que le célèbre footballeur Lillian Thuram, souhaitait « mener une réflexion sur notre société pour mieux comprendre les préjugés et les dépasser ». Pour cela, il serait déjà nécessaire de reconnaître les atrocités commises dans ce passé – pas si lointain, les exhibitions ont pris fin vers 1940 comme celles du Jardin d’Acclimatation de Paris qui fut le théâtre d’expositions de « sauvages » parqués comme des bêtes. Un trou colossal au sein de notre mémoire collective… Aucune plaque commémorative, aucune croix, aucun renseignement n’indique à ce jour le passé de ce zoo humain et la présence des morts qui y sont enterrés. Place désormais à la rivière enchantée et à Guignol, le propriétaire Bernard Arnault ne tient-il pas là un paradis pour les enfants? Ainsi le président Sarkozy n’a -t’il pas eu un mot sur cet ancien lieu de honte lors de son voyage en Guyane il y a quelques semaines. Quant à Claude Guéant qui compare une civilisation par rapport à une autre, affirmant que « celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la haine sociale ou ethnique », il est regrettable qu’il ne se soit pas remémoré des conséquences qu’a eues ce genre de raisonnement au cours des siècles derniers…
Par Sarah Vernhes
« Exhibition : l’invention du sauvage » au Musée du Quai Branly présentée jusqu’au 3 juin 2012.