En cette fin d’année, l’Opéra Comique créé une fois encore l’événement. Après un remarquable Orphée et Eurydice mis en scène par Aurélien Bory en octobre et le premier volet de la saga de Stockhausen,
Licht, en novembre, c’est Hamlet d’Ambroise Thomas qu’Olivier Mantéi a confié avec bonheur au metteur en scène, Cyril Teste dont on se souvient du fascinant Festen à l’Odéon (théâtre où nous étions pour la dernière de l’Ecole des femmes et dont son directeur Stéphane Braunsweig nous a annoncé qu’il signera la mise en scène au TCE d’Eugène Onéguine en 2021 avec Vanina Santoni que l’on a adoré dans La Traviata de Deborah Wagner en décembre dernier). Mais revenons à Hamlet; grand succès de la fin du Second Empire tombé dans l’oubli après la Première Guerre Mondiale, l’ouvrage
connaît désormais depuis un quart de siècle un regain d’intérêt certain. Revisité par le Romantisme,
Shakespeare ne verse pas pour autant dans le sentimentalisme parfois prisé par l’époque. Avec Stéphane
Degout dans le rôle-titre, qui avait déjà incarné le prince danois dans la production d’Olivier Py à Vienne
en 2012, encore moins.
Boudeur sur le bord du plateau, il assiste, en spectateur impuissant, au lever du rideau, au triomphe
illégitime de Claudius, qui a pris la couronne et s’est marié avec la reine Gerturde, après avoir empoisonné
le roi.
Vidéos et modernisme
Cyril Teste a choisi de prendre possession de toutes les ressources de la salle et des coulisses pour
mettre en scène les fastes du pouvoir qu’il présente comme un défilé de mode assailli de flashes et de
vains cotillons. Ce n’est pas la première fois que la nudité technique du plateau est mise en avant – et cela
semble être la pierre de touche de cette saison d’Olivier Mantéi. A défaut de nouveauté, les choeurs en
coulisses et l’arrivée des personnages par le parterre réussissent leur effet, au risque d’une proximité
parfois un peu gênante avec certaines oreilles. Mais c’est l’immersion du fantôme du roi, assis au milieu
du public de l’orchestre qui compte parmi les visions fortes de la soirée. Assurément, on ressortira
convaincu par la maîtrise des moyens déployés, qui ne s’embarrasse guère de menus accessoires, quitte à
sortir un peu étourdi par une telle démonstration avec d’envahissants gros plans vidéos, focus sur l’intimité
psychologique un rien attendus. L’oeuvre et le genre n’appelle sans doute pas à la même économie que
Gluck.
Eblouissante Ophélie
Côté voix, c’est la fine fleur du chant français que Favart a réuni. La maturité de Stéphane Degout met
idéalement en valeur le caractère tourmenté d’Hamlet, prenant appui sur le grain de sa voix et son instinct
de la langue pour faire vivre l’évolution psychologique de son personnage. Pour sa première Ophélie,
Sabine Devielhe se révèle aussi aérienne que sensible et inspirée, dans une virtuosité éclatante mais jamais gratuite. Bien plus présente dans l’Opéra que dans la pièce de Shakespeare, son air de folie qui se conclu par sa mort imagée par une vidéo où elle s’enfonce dans l’eau est un pur moment de grâce, les larmes en couleront pour certains. Laurent Alvaro affirme une autorité royale qui vacille chez la Gertrude de Sylvie Brunet-Grupposo, annoncée souffrante et que d’aucuns estimeront plus modeste actrice qu’interprète vocale. Jérôme Varnier affirme un Spectre magistral, quand Julien Behr ne néglige aucunement le nervositéaffective de Laërte. Marcellus et Horatio, Kevin Amiel et Yoann Dubruque forment une irrésistible paire de fossoyeurs en tenue de médecins légistes. Dans la fosse, Louis Langrée fait respirer les pupitres de l’Orchestre des Champs-Élysées pour assurer la vigueur dramatique de la partition, relayée par les interventions du choeur Les éléments. Une superbe fin d’année à l’Opéra Comique !
Par Gilles Charlassier
Hamlet, de Ambroise Thomas, à l’Opéra Comique, jusqu’au 29 décembre 2018