Emblème et raison originelle du festival, Mozart ouvre le festival d’Aix-en-Provence dans son fief historique, le Théâtre de l’Archevêché, avec des Noces de Figaro plus « modernes » que le pastiche de Strehel donné par Jean-Paul Scarpitta à Montpellier. C’est en effet autour d’un canapé livré par Ikea que le futur marié prend les mensurations, au milieu d’étagères d’archives, d’imprimantes et de bureaux. Richard Brunel nous plonge dans le monde de l’entreprise, microcosme où se jouent aujourd’hui les relations de pouvoir et de domination analogues à celles entre maître et valet au siècle des Lumières.
« Folle journée » au rythme endiablé
Pourtant ce n’est pas tant le concept, déjà éventé par Michael Haneke dans Don Giovanni à Paris, que la direction d’acteurs, inventive, prenant souvent au pied de la lettre le livret, avec des effets comiques garantis, comme le chien du comte posté devant le cabinet où se cache Cherubino – pour le plus grand bonheur des petits comme des grands – sans oublier une habile utilisation des lieux où se projettent sur les murs du décor l’ombre de l’olivier côté cour pour une scène, nocturne, de jardin au quatrième acte pleine de poésie.
Folle journée plus théâtrale que musicale cependant – voix souvent banales ou inadaptées et maniérismes dans la direction du talentueux chef du Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rohrer. Heureusement de cela le public aixois n’a cure, emmitouflé pour certains dans les couvertures gracieusement prêtées par le festival – le spectacle se termine vers une heure du matin et la cour de l’Archevêché ne résiste pas à la fraîcheur de la nuit provençale.
Sublime David et Jonathas et envoûtante création de George Benjamin
Le mythique théâtre sous le dais des étoiles accueillait également, en alternance, le David et Jonathas de Charpentier, coproduit avec l’Opéra Comique où il sera donné en janvier prochain. Une fois surmontés la laideur du décor en contreplaqué Ikea et l’ennui de la récurrence des tombés de rideau qui segmentent l’opéra en tableaux, on se trouve récompensés par une musique sublime, en particulier la seconde partie, culminant avec la bouleversante mort de Jonathas et la déploration des choeurs, passage obligé de la tragédie lyrique française rappelant la tragédie grecque. Qui plus est servie magnifiquement par William Christie et ses Arts Flo’, dont la sonorité s’est enrichie au fil des ans.
Mais le grand événement de cette édition se déroulait sans doute au Grand-Théâtre de Provence, inauguré il y a cinq ans pour la Walkyrie dirigée par Simon Rattle à la tête du Philharmonique de Berlin. Toute l’Europe lyrique était là – ou presque – pour la création mondiale d’une commande du festival d’Aix-en-Provence en coproduction avec le Covent Garden de Londres, le Mai Musical Florentin et le Capitole de Toulouse, et avec le soutien du British Council.
Written on skin de George Benjamin, dirigé par le compositeur lui-même, reprend la légende provençale du cœur mangé, principal condiment de cette histoire d’adultère sur fond de soumission féminine au Moyen-Age. Mélangeant avec une habileté rare instruments anciens et modernes, Benjamin réalise une partition narrative et fascinante saluée par une standing ovation du public, rassuré par la facture classique et linéaire de la composition, où l’on entre comme dans un excellent film. D’autant que l’interprétation confine à la perfection, tant côté chanteurs, avec entre autres le contre-ténor Bejun Mehta, que côté orchestral – le remarquable Mahler Chamber Orchestra.
Poésie ravélienne au Jeu de Paume
On n’oubliera pas enfin la délicieuse réduction pour piano, flûte et violoncelle de l’Enfant et les sortilèges de Ravel, réalisée par Didier Puntos il y a une vingtaine d’années et interprété dans ce ravissant bijou dix-huitième qu’est le Théâtre du Jeu de Paume par de jeunes chanteurs à la diction impeccable. Se déroulant comme un songe aux relents de cauchemar pour l’Enfant, la mise en scène d’Arnaud Meunier tire parti des dimensions de la salle, avec des éclairages intimistes. Pas besoin d’être au clair de lune pour partir sous les étoiles…
Par Gilles Charlassier
Les Noces de Figaro de Mozart, au Théâtre de l’Archevêché, du 5 au 27 juillet 2012
David et Jonathas, au Théâtre de l’Archevêché, du 6 au 19 juillet 2012
Written on skin, au Grand-Théâtre de Provence, du 7 au 14 juillet 2012
L’Enfant et les sortilèges, au Théâtre du Jeu de Paume, du 6 au 22 juillet 2012