Après son succès au Théâtre de l’Atelier, Luchini ressuscite à nouveau Philippe Muray sur les planches cette fois du Théâtre Antoine. Et donne à nouveau à entendre la satire de la société par le philosophe mort en 2006. Son point commun avec La Fontaine, Céline et Flaubert ? Etre un observateur hors pair de son époque et dans la bouche de ce lecteur à la diction unique, provoquer l’hilarité mais teinté d’intelligence de son public. Et pari gagné, avec l’envie pour tous de courir acheter Muray à la sortie…
Molière au XVIIème voulait corriger les mœurs par le rire. Muray, lui, corrige le « bobo » des temps modernes et sa tendance au politiquement correct. L’écrivain pamphlétaire peint l’ « infantéisme » de l’époque et le goût de l’hyper-festif avec une ironie virulente. Jugez plutôt de l’attaque: « (…) Les mauvais sentiments ne représentent peut-être pas la garantie absolue de la bonne littérature, mais les bons, en revanche, sont une assurance-béton pour faire perdurer, pour faire croître et embellir tout ce qu’on peut imaginer de plus faux, de plus grotesquement pleurnichard, de plus salement kitsch, de plus préraphaélite goitreux, de plus romantique apathique, de plus victorien-populiste qui se soit jamais abattu sur aucun public. La réalité ne tient pas debout en plein vent caritatif. Un romancier véridique, aujourd’hui, serait traité comme autrefois les « porteurs de mauvaises nouvelles » : on le mettrait à mort séance tenante, dès remise du manuscrit. C’est pour cela exactement qu’il n’y a plus de romanciers. Parce que quelqu’un qui oserait aller à fond, réellement, et jusqu’au bout de ce qui est observable, ne pourrait qu’apparaître porteur de nouvelles affreusement désagréables. La Littérature ? Il y a des Fêtes du Livre pour ça. L’air du temps cherche tout ce qui unit. Rien n’est écœurant comme cette pêche obscène aux convergences. (…) »
Aux oubliettes la « bien-pensance » et le conformisme ! Aucun spectateur ne ressort indemne – de celui qui lit Télérama, à celui qui écoute France Inter, les cibles vont bon train avec un Luchini qui semble se délecter de cette peinture sociale au point que l’on se demande en sortant s’il n’est pas devenu plus muraytiste que Muray…
Par Elodie Terrassin
Fabrice Luchini lit Philippe Muray au Théâtre Antoine, à 19 heures jusqu’au 20 décembre