27 janvier 2012

Avant, il y avait le courrier des lecteurs; maintenant, sur internet, voilà les commentaires. Grâce à celui d’une couturière sur l’article « Loic et Mademoiselle »-à relire dans cette newsletter, nous avons appris que les 15 mètres de galons gansant les tailleurs Chanel qui ont défilé mardi au Grand Palais seraient les derniers de Raymonde Pouzieux, ce personnage unique que Loic Prigent avait filmé il y a 7 ans déjà. 82 ans, le bon moment sans doute pour mourir,  quelques jours après sa dernière livraison,  pour ce petit bout de femme sec et opiniâtre, qui ressemblait tant au « petit taureau noir  » comme appelait Cocteau la grande Mademoiselle. Ces deux-là s’étaient connues- elle était la dernière de la maison Chanel à avoir ce privilège-et sans doute reconnues. Toutes deux partageaient la passion des chevaux et avaient assurément le même mépris pour le factice et les faux-semblants. Il fallait voir cette femme encore si tonique, sortant du défilé où la maison Chanel l’avait invité, au milieu des Anna Wintour, Oprah Winfrey et autres starlettes pour se ruer sous la pluie et retourner vite fait à Saint Germain des Près- pas celui de Paris mais à une centaine de kilomètres, près de Montargis, s’occuper de ses chevaux qu’il fallait rentrer.

Une magicienne perfectionniste

Dans ce monde où tout est artifice, elle avait comme Chanel, les pieds bien sur terre, dure à la tâche comme lorsqu’elle passait des nuits penchées sur ses galons pour qu’ils soient prêts. Son savoir-faire? Il était unique, intransmissible et hors-pair, dans cette difficulté qu’il y a de filer les fils avec un rendu parfait que ses doigts malgré l’âge ne trahissaient pas. « Par principe, j’invente toujours, je ne fais rien qui existe déjà. Je me consacre à l’unique. Il m’est arrivé de tisser entièrement une robe en raffia pour Lacroix ou de défaire totalement un tissu Chanel pour le refaire en galon », expliquait-elle à qui venait la visiter dans sa campagne entre deux paillages de box ou distributions de foin. Élevant des chevaux de concours, elle traversait chaque année la France entière pour faire inséminer ses juments et surveiller ensuite, ne laissant rien au hasard comme pour ses passementeries, leurs grossesses sur des écrans vidéo installés dans sa cuisine. Au-dessus de ses écuries,  elle avait installé une douzaine de métiers à tisser, de tous les styles et de tous les âges, pour faire ses « broderies dans le vide » comme elle disait, au milieu d’ un maelström de coupons de tissus, pelotes de laine, bobines de fils ou boutons. Des métiers aujourd’hui orphelins, tout comme ses chevaux. Reste ces galons dont la plupart des riches clientes qui les portent n’ont aucune idée du cœur à l’ouvrage qui leur donna vie. Un cœur qui a cessé de battre mais auquel nous sommes heureux de pouvoir rendre hommage. Bravo et que dieu vous garde, Raymonde. C’est sûr en juillet, les galons des tailleurs Chanel ne seront pas aussi beaux et sans doute plus jamais ne le seront-ils….

 

Par Laetitia Monsacré

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