Ça fait déjà plusieurs semaines que les mails fleurissent à l’image des bourgeons: attachés de presse des films, marques partenaires vous vantant leur terrasse qui sera fréquentée par « les stars internationales », liste de people à l’appui… A les croire, le centre du monde sera donc sur la Croisette à partir du 15 mai prochain. Même Madame météo sur France 2 s’y est mise. Il faut dire que cette année, il y a du lourd avec Steven Spielberg en président, Nicole Kidman dans le jury, et de la star en veux-tu en voilà, tout comme le champagne, les feux d’artifice et les yachts qui ne manqueront pas d’occuper la baie cannoise, avec leur cargaison de richissimes propriétaires « beaux comme Crésus », accompagnés de brindilles russes pré-pubères qui hanteront les nights clubs, la nuit venue. De quoi inonder de devises la ville qui devient chaque mois de mai, douze jours durant, un gigantesque marché à ciel ouvert. Tout s’y vend, des magnifiques pivoines au marché Forville aux robes de princesses ou maillots de bains incrustés de brillants à moins que votre choix ne se porte sur un film tchétchène présenté sur un des stands du marché du film qui se tient dans le Palais des festivals. Et tout donc s’y achète, y compris les gens qui en fonction de leur « valeur » voient les portes s’ouvrir ou … se fermer. Les salles de projection, les soirées, les voiliers ou les restaurants de plage entièrement dévolus aux opérations de relations publiques, l’accueil est appuyé si vous représentez un quelconque intérêt, à condition de vous prêter ensuite aux sourires, photos ou autre discours de propagande de chaque marque; l’ anonyme n’a, lui, droit qu’à un solide vigile et de fantasmer sur ce qu’il rate- par ici la sortie. Dès lors, le festivalier devient rapidement un porteur de badges, de cartes d’ accès, de bracelets pour aller boire, s’asseoir ou se déplacer librement. Et le sport cannois, celui de récupérer un pass, une invitation et la chance d’en « être » grâce a quelqu’un qui connaît quelqu’un qui est ami avec…
Miroirs aux alouettes
Crise oblige, il arrive toutefois que les boissons soient rationnées avec des tickets et la soirée, bien plus alléchante de l’extérieur qu’une fois entré; quant à se nourrir, on finit invariablement à une pizzeria ou une brasserie entre deux séances, découvrant que payer avec sa carte bleue peut être un réel bonheur pour éviter les courbettes et le « little talk » auquel il faut se plier pour se sustenter gratuitement. Et oui, tout se paie en ce bas monde…
Reste que pour qui veut voir des films, Cannes demeure la meilleure adresse qui soit, même si lorsque le soleil est au firmament, il n’est pas toujours évident d’aller s’ enfermer dans une salle, a fortiori lorsque le film raconte le quotidien d’ une fille-mère obligée de se prostituer pour nourrir ses enfants dont l’un est atteint de tuberculose dans un bidonville de Calcutta. Tous les contrastes de notre vie moderne sont ainsi à leur paroxysme entre le Cannes qui flambe et fait la fête toute la nuit, celui des journalistes qui se pressent à la séance de 8 heures 30 chaque matin avec des notes de frais au minimum syndical ou encore le serveur qui fait les trois-huit. Avec toutefois pour tous, un point commun: accepter d ‘y pratiquer la danse du ventre, à un moment ou un autre, dans ce qui est assurément un miroir aux alouettes hautement toxique et à consommer avec modération pour toute personne normalement constituée.