Il existe très peu de photos de Thierry Demaizière sur internet. Etrange pour un homme qui officie chaque dimanche depuis onze ans à une heure de grande écoute sur TF1 dans l’émission Sept à huit. Logique lorsque celui-ci interviewe avec une attention à l’autre et une qualité d’écoute peu familières à la télévision, revendiquant le droit -et le luxe-de n’être qu’une voix. De celles qui vous mettent en confiance immédiatement avec ce sentiment rarissime qui confine à la sollicitude. Célébrités, anonymes, à chaque fois le lien se fait, évident, rassurant grâce à ce timbre chaud qui vous enveloppe comme un pull tricoté main, rien que pour vous. Comme dans son époustouflant portrait de Karl Lagerfeld en 2007 pour la collection Empreintes, il offre à celui qui accepte sa compagnie des mois durant, l’assurance d’une écriture qui aura autant de talent dans les mots que dans les images réalisées par son complice Alban Teurlai. Ensemble, ils ont créé Falabracks, leur société de production qui, en patois niçois, se dit d’une personne pour laquelle on a de l’affection tout en émettant quelques doutes sur sa capacité à faire quelque chose de sa vie…A le voir dans ses locaux décorés avec soin au coeur de Montmartre, on peut supposer que l’autodérision est quelque chose qu’il manie avec bonheur, à l’image de leur dernier « enfant », un Empreintes bouleversant, qui sera diffusé vendredi 14 décembre sur France 5 à 21h30, consacré à Vincent Lindon, lequel a attendu deux ans pour lui dire oui. Et qui dans l’exercice confirme que ces deux-là se sont assurément « trouvés ».
Etre intervieweur, c’est une façon détournée de parler de soi?
Si l’on remonte au plus loin, ma mère dit que j’ai commencé tout petit à poser des questions…Est-ce qu’un intervieweur dit des choses de lui? Oui, énormément. Par exemple, je refuse de paraître à l’image car il y a bien assez de moi dans mes questions; avec ma voix, je donne déjà beaucoup. Les questions bien sûr engagent; elles sont ce que l’on est.
Vous préférez le direct ou lorsque c’est monté?
Je viens de la radio alors j’aime bien sûr le direct. Mais pour le portrait comme dans l’émisson Sept à huit, le fait que l’on puisse revenir sur une question, c’est beaucoup plus riche en sept, huit minutes enregistrées et montées qu’un plateau de quinze minutes en direct.
Comment jouez-vous avec les silences?
Je fonctionne par l’empathie, sans stratégie. Je n’ai pas de plan dans l’interview afin de rebondir uniquement sur ce que dit l’autre. Je sais en gros où je veux aller mais je me laisse emmener par l’autre. Alors, bien sûr j’ai des combines, des questions lorsque je suis au fond du fond pour relancer surtout qu’on est à une heure de zapping incroyable…D’ailleurs, au début, à cette heure-là, personne ne croyait au format court de cette interview.
Pour vous l’interview est réussie lorsqu’il s’est passé quoi?
Quand on change d’avis sur la personne à la fin de l’entretien. Que j’ai réussi à l’emmener ailleurs ou poussé l’invité vers quelque chose qu’on n’attendait pas, qui surprend. C’est pourquoi je ne veux pas les rencontrer avant, discuter avec eux car je sais qu’ils diront les choses moins bien après. Sur le documentaire, c’est différent; avec Vincent Lindon, j’ai été tellement stupéfait de ce qu’il donnait que j’étais très anxieux de ce qu’il allait reprendre. Au final, il n’a rien repris.
J’ai trouvé dans les commentaires sur vous celui d’un spectateur qui a écrit « professionnel et pudique à la fois », ça vous plaît?
J’adore ça. Evidemment l’intime m’intéresse mais pas du tout l’impudeur. Ce qui m’importe, c’est la dimension universelle dans les personnes que j’interviewe, de la plus connue au parfait anonyme. En une heure avec Vincent Lindon, on n’a rien dit de sa filmographie; il aura en revanche parlé de la mort, du père, de la mère, du désir- que des thèmes universels…
Vos parents faisaient quoi?
Je ne parle jamais de mes parents. Comment je suis arrivé dans le métier? Un peu par erreur d’aiguillage, je travaillais au théâtre d’Avignon comme étudiant en lettres puis je suis rentré à RTL comme grand reporter. A un moment, j’ai réalisé que ce que j’allais chercher là-bas, je ne le trouvais pas et que ce que j’y trouvais ne m’intéressait pas. Mais il fallait que j’aille le vérifier sur place car, c’est évidemment le rêve de tout journaliste. Trouver cette adrénaline. C’est Philippe Labro qui m’a repéré à cette période en sentant avant tout le monde que j’étais doué pour le portrait.
L’interview rêvée c’est qui?
A faire ou déjà faite? Je vais arrêter de citer Lindon! Lagerfeld, c’était une interview brillantissime qui rebondit sans arrêt et vous embarque ailleurs. Là, on a affaire à quelqu’un « hors catégorie », c’est assez magique. Diam’s, c’était aussi une interview rêvée, surtout qu’elle avait refusé toutes les interviews télé. Je lui ai envoyé une lettre et elle a décidé de me faire confiance. Elle m’a d’ailleurs envoyé un mot pour me remercier, ce qui est très rare. Sinon, je rêverais de faire Delon, car il n’a jamais raconté sa vie lui-même. Et puis, il est de ces personnages qui sont d’une densité absolue comme Adjani, Zidane, il y a un frisson qui parcourt la pièce lorsqu’ils arrivent quelque part.
Vous vous voyez comme un accoucheur?
Non, je crois plutôt avoir une oreille pour accueillir la parole juste. Je sais lorsque quelqu’un me répond l’emmener au plus près de lui. Je lis des choses avant et j’ai souvent des intuitions. Par exemple pour Sim, lui qui avait cette voix si spéciale qui semblait ne pas avoir mué, j’ai réussi à lui faire dire que c’était parce qu’il voulait faire plaisir à ses parents, rester un petit garçon.
C’est un passage obligé de créer sa société?
Avec Alban, on avait envie de papier à lettres, d’être égoïstes en ne faisant que nos propres projets et faire tout de A à Z. C’est formidable car on a toutes les manettes! J’ai eu une chance folle de réussir sans passer par une école de journaliste, aujourd’hui ça ne serait plus possible. Il y a aussi des chaînes comme France 5 qui nous offre une grande liberté comme cette série que nous sommes en train de tourner, Entre autres, dix épisodes en huis-clos, où l’on suit des gens dans des « lieux de réparation » – salons de coiffure, salle de maternité ou une chorale de SDF.
Thierry Demaizière a répondu aux questions; il en a posé aussi…Comme avec tous ses invités, une « troisième personne » s’est créée, dont il faut prendre congé. Sans hâte mais à regret.
Par Laetitia Monsacré