Sur la carte touristique du Portugal, Porto fait concurrence à Lisbonne. Il en est de même sur la mappemonde culturelle. Si, côté musées et théâtres, l’avantage revient à la capitale, l’épicentre de la vie musicale du pays se trouve bien au bord du Douro. Dessinée par Rem Koolhaas et inaugurée il y a quinze ans, la Casa da Musica accueille une programmation riche et ambitieuse, dans un batiment aux formes polyédriques qui ne tourne pas le dos à la ville : outre les deux salles, un café au rez-de-chaussée et un restaurant plus gastronomique au niveau supérieur complètent ce lieu culturel résolument vivant.
Sous le slogan Vive la France !, le millésime 2020 met à l’honneur, tout au long de la saison, le répertoire et les interprètes français, avec un large ambitus esthétique, couvrant toute l’histoire de la production musicale, jusqu’à la création contemporaine, avec, comme chaque année, un compositeur en résidence. Celui que la Casa da Musica invite cette saison, Philippe Manoury, est l’un des musiciens majeurs d’aujourd’hui, avec un catalogue vaste, qui embrasse tous les genres. Le premier week-end de ce festival français en offre un aperçu avec deux pièces qui n’avait encore jamais été jouées au Portugal.
Samedi 11, le Remix Ensemble Casa da Musica, sous la direction de Peter Rundel, donnent les Fragments pour un portrait, sept pièces pour trois groupes de dix instruments. Ecrit par Manoury en 1997-98, le recueil, d’une trentaine de minutes, démontre une maîtrise et une variété d’écriture remarquables, au service d’une poésie évocatrice qui conjugue expérimentations et sensualité de la matière sonore. La mobilité et la pulsation des Incantations inaugurales, parfois dans les pas d’un Stravinski, contrastent avec la densité un peu solennelle du Choral, avant les élans et les ressacs palpables des Vagues paradoxales. Dans un tempo lent, la Nuit (avec turbulences) est l’une des plus belles pages du cycle, par son extase méditative zebrée de fugaces effractions. Après les textures d’Ombres et la brève Bagatelle, on retrouve ce climat suspendu dans le Totem final, qui n’oublie pas la tension du grain sonore. Après l’entracte, Yet, de Christophe Bertrand, également jusqu’alors inédit sur la scène portugaise, affirme un mouvement perpétuel qui allie virtuosité et chatoiement inventif des timbres, dans une lecture concentrée et jubilatoire. Enfin, les humeurs et la volubilité des Oiseaux exotiques de Messiaen sont restituéss par le piano expert de Pierre-Laurent Aimard, dans une évidente complémentarité avec les musiciens de Remix emmenés par Peter Rundel.
Philippe Manoury à l’honneur
Le lendemain, dimanche 12, Sofi Jeannin, à la tête de la Maîtrise de Radio France, présente, avec le Choeur de la Casa da Musica, un programme balayant sept siècles de musique, qui s’ouvre avec Guillaume de Machaut et Kyrie de sa Messe de Notre-Dame. La plasticité et les couleurs du tissu choral se confirme dans le foisonnement du Chant des oiseaux de Janequin, avec un contrepoint vivant, sans didactisme, et une diction d’autant plus estimable que les chanteurs ne sont pas francophones, qualités que l’on retrouve dans les Trois chansons de Debussy, ainsi que dans une Messe en sol majeur de Poulenc bien équilibrée entre sentiment et décantation. Après une pause technique, le public de Porto découvre Fragments d’Héraclite de Manoury. Cette pièce en quatre épisodes écrite en 2002 développe une scénographie fascinante, tirant parti de la spatialisation pour façonner une forme de rituel au gré d’un halo polyphonique où les solistes entrent et repartent au milieu du public, partant du murmure et s’évanouissant dans le silence. O sacrum convivium de Pierre Villette et la transcription du Jardin féérique de Ravel sur un poème de Benoît Richter referment ce parcours dans le répertoire choral français sur des notes de lumineuse sérénité. Un beau week-end qui témoigne de la place de choix de Porto dans le réseau musical européen.
Par Gilles Charlassier
Festival Vive la France !, Casa da Musica, Porto, concerts des 11 et 12 janvier 2020