Patrick Deville a écrit Peste et choléra au scalpel, avec la précision d’un bactériologiste. Rien ne dépasse. Et c’est ce qui fait la force de ce roman méticuleux où l’écrivain explore la vie d’Alexandre Yersin, à qui l’on doit notamment la découverte du bacille de la peste. A travers le portrait de ce suisse naturalisé français, c’est aussi la vie d’un explorateur dur et solitaire, d’un baroudeur paradoxalement amoureux de son confort, qui apparaît. Une aventure humaine nous transportant du XIXème au XXème siècle, de Paris à Bombay, de Manille à Nha Trang.
Le livre commence, peu avant la mort de Yersin, en mai 1940. Alors que la France est en pleine débâcle, le vieux scientifique se trouve dans le dernier vol de la compagnie Air France vers l’Asie. Le monde entre dans la seconde guerre mondiale et Yersin feuillette ses carnets de souvenirs, lui qui a travaillé auprès de Pasteur, mais aussi de Michelin et de Louis Lumière. Il le sait : il quitte pour toujours l’hôtel Lutétia, où il aimait séjourner comme James Joyce ou Matisse, et repart vers Nha Trang, au Vietnam, vers le monde idéal qu’il s’est patiemment construit. « Depuis cinquante ans, Yersin a choisi de quitter l’Europe. C’est en Asie qu’il a passé la Première guerre mondiale et qu’il s’apprête à passer la deuxième. Seul. Comme il a toujours vécu. » Alexandre Yersin est un homme en marge, médecin, et touche-à-tout autodidacte. Cet orphelin de père, à peine arrivé à Paris, déconcerte la bande des pasteuriens qui l’a adopté, le grand Pasteur en tête. Il vient de commencer la bactériologie avec un succès foudroyant et arrête tout, du jour au lendemain, pendant cinq ans. La cause de cet arrêt brutal ? Un coup de foudre. Pas pour une femme, « des guenons », sauf sa mère Fanny. Non, à 26 ans, Yersin voit la mer pour la première fois et c’est un éblouissement qui va changer sa vie. «Après la Normandie, déjà tout ça s’est bouclé comme un nœud marin. Yersin ne passera pas le restant de sa vie devant des éprouvettes. L’oeil collé au microscope au lieu de l’horizon. Il a besoin d’air. De silence et de solitude. » Malgré les suppliques de ses confrères, il ne veut plus entendre parler de rien: il veut la mer. Il reprendra ses recherches à la demande des Pasteuriens : la peste est en train de disséminer Hong-Kong puis Bombay. Mais la vie de Yersin ne se limite pas à la médecine. Chercher, découvrir, savoir, il a cela dans le sang et au hasard des situations, il va se reconvertir dans la chimie et l’électricité. La phrase de Pasteur résonne dans son cerveau « comme une injonction » : « il me semblerait que je commets un vol si je passais une journée sans travailler. »
Patient et travailleur, Patrick Deville l’est aussi. Ce rat de bibliothèque a fait de longues recherches dans les archives de l’Institut Pasteur, à Paris et ailleurs, pour retranscrire ce destin. Une étude minutieuse pour un diagnostic sans erreur et à l’arrivée, Peste & Choléra sélectionné dans quasiment toutes les listes, du Goncourt au Femina, et déjà salué du Prix du roman Fnac-un « vrai » prix puisque donné par des libraires et des lecteurs. Seul, le prix Interallié l’a boudé… soyons en surs: Patrick Deville ne n’en fera pas une maladie.
Par Maud Guillaumin
Peste et Choléra de Patrick Deville publié au Seuil 230 p., 18 €-Prix du roman Fnac 2012