Au-delà des coupes pures et simples dans les saisons, heureusement encore relativement contenues, les tensions budgétaires imposent certaines stratégies pour réinventer la programmation. Ainsi en est-il de l’ouverture de saison de l’Opéra de Nancy, avec un Idoménée en version semi-scénique que Matthieu Dussouillez a confié à un jeune metteur en scène au nom presque prédestiné à Mozart, Lorenzo Ponte.
Avec à peine deux semaines pour préparer le spectacle et le réemploi d’éléments scénographiques déjà dans les murs de la maison, l’Italien a réussi la gageure de reconstituer une narration digne d’une véritable production scénique. Les projections graphiques pendant l’Ouverture sont les mots de Méda, l’épouse d’Idoménée, oubliée par la mythologie : l’histoire va nous être raconté depuis ce point de vue féminin réduit au silence. Après une cérémonie funèbre, dans un plateau aussi noir que les costumes de Giulia Rossena, le deuxième acte fonctionne comme un flash-back, sur une toile de séjour décoré pour les fêtes et datée de Noël 1962. Dans le décor simplifié, mais évocateur, d’Alice Benazzi, le trio amoureux formé par Illia, Idamante et Electre en est encore à l’âge des jeux d’enfants, tandis qu’en fond de scène on devine une violence domestique – Méda succombant à son époux ? Cette régression mémorielle un peu trop foisonnante pour se laisser suivre sans ambiguïté est portée par les éclairages infrarouges de chambre photographique, calibrés par Emanuele Agliati, et dans lesquels baigne Electre. C’est dans une baignoire rappelant le crime tu autant que le processus photochimique de l’argentique, que le personnage noiera sa folie, tandis que la succession d’Idoménée vers Idamante aura un relent de rupture. Comme souvent chez les metteurs en scène en début de carrière, la prolixité d’idées nuit parfois à la clarté – et à la force – d’un propos iconoclaste qui, par ailleurs, relègue un peu trop la question de la filiation et du gouvernement éclairé, alors que cette thématique est l’une des colonnes vertébrales de la dramaturgie mozartienne, de Lucio Silla à La clémence de Titus, en passant par Idoménée.
Fraîcheur et vitalité musicale
Du moins peut-on applaudir un joli plateau vocal. Dans le rôle-titre, Toby Spence affirme une émission plus claire que de coutume, qui soutient une incarnation sensible et un phrasé nuancé. En Idamante, Héloïse Mas, figure montante de la nouvelle génération, fait forte impression, tant par l’homogénéité de son mezzo que par un remarquable engagement musical, au fait de l’énergie mozartienne. Siobhan Stagg fait vibrer un babil fruité qui traduit la fragilité du personnage. En Electre, Amanda Woodbury se distingue par un lyrisme puissant qui n’écrase jamais la beauté de la ligne. Autre figure de la relève du chant français, Léo Vermot-Desroches fait entendre un Arbace légèrement corsé, d’une belle santé vocale – même si le magnifique arioso accompagnato du troisième acte a été coupé. Il n’est pas jusqu’à la voix de Neptune, solidement projetée depuis les coulisses par Louis Morvan, qui ne contribue à défendre pleinement la partition de Mozart – ce dont ne se font pas faute non plus les interventions du choeur préparées par Guillaume Fauchère. Si d’aucuns jugent la direction de Jakob Lehmann un peu trop vive, elle a le mérite de ne jamais relâcher le tempo du drame, et d’accompagner la clarté et les couleurs des pupitres de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine. La fraîcheur de la musicalité mozartienne n’est aujourd’hui plus l’apanage des instruments d’époque. Et l’économie des décors n’interdit pas de réaliser un authentique spectacle scénique : les expériences sont aussi là pour essayer de nouvelles voies.
Par Gilles Charlassier
Idoménée, Opéra national de Lorraine, Nancy, 29 septembre et 1er octobre 2023