Après une ouverture de saison par le concert dans la ville, rendez-vous de rentrée inité par Emmanuel Hondré à son arrivée à l’Opéra de Bordeaux en 2022, qui, avec la Neuvième de Beethoven, marquait l’entrée en fonction du nouveau directeur musical de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Joseph Swensen, le chef américain révèle également son travail de compositeur avec une Saga Trilogy composée de trois concertos. Le premier, pour contrebasse, est donné en création française, au sein d’un programme associant Pärt et Holst – le deuxième, pour violoncelle et accordéon sera joué le 20 mars et le troisième, pour clarinette, le 13 juin.
Après l’intensification progressive de la décantation recueillie du Cantus in Memoriam Benjamin Britten du maître estonien, ponctuée d’appels de cloches, le climat extatique se prolonge avec Primordial Cosmos. Ecrite pour une contrebasse à cinq cordes amplifiée et vingt-deux cordes solistes, la pièce, introduite avec quelques mots de Joseph Swensen lui-même qui la situe dans la trilogie, est présentée avec une habile mise en espace et en lumières. A partir du si bémol grave de l’instrument, inspiré par la découverte par la NASA d’un son cosmique, aux fréquences inaudibles pour l’oreille humaine, mais qui dément l’idée du silence de l’univers, les motifs mélodiques sont relayés par les pupitres orchestraux qui prennent progressivement place sur le plateau. L’attention est focalisée sur les harmoniques amplifiés de la contrebasse, qui semblent se confondre avec l’espace de l’auditorium, tandis que l’étoffement des effectifs se fait dans une sorte d’inconscience interstellaire. Avec des moyens élémentaires, et dans une construction plus proche de la fusion symphonique que de la confrontation dialectique, Primordial Cosmos façonne une parenthèse suspendue et évocatrice, portée par l’interprétation sensible et engagée d’Esther Brayer, contrebassiste solo de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine.
Les Planètes, un grand spectacle symphonique
Après l’entracte, la thématique cosmique est illustrée par ce qui reste sans doute la page la plus célèbre du répertoire dans ce registre, Les Planètes de Holst. La direction généreuse de Joseph Swensen encourage l’épanouissement des couleurs et des textures de la formation bordelaise au fil des sept numéros contrastés du cycle. Le sens de l’expressivité s’affirme dès les accents quasi militaires de Mars, auxquels s’oppose la souplesse lyrique de Vénus, avec un sensualisme wagnérien et straussien. Les ondulations mélodiques fuyantes de Mercure, suggèrent la caractère insaississable du message, avec des motifs rappelant Rimsky-Korsakov. La vitalité irrésistible de Jupiter, élargie à toute la palette orchestrale, en fera un bis idéal. L’allure de marche puissante de Saturne ne laisse aucun doute sur le cours inexorable du temps. Second scherzo de la suite après Mercure, Uranus laisse affleurer le souvenir de L’apprenti sorcier de Dukas, avant les nébulosités modales de Neptune, avec les voix enregistrées du Choeur de l’Opéra national de Bordeaux – préparés par Salvatore Caputo. Avec cette suite en technicolor assumée, Joseph Swensen et l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine font du symphonique un grand spectacle à l’heure d’une rentrée jalonnée par la quinzaine du FAB, le festival pluridisciplinaire de la capitale girondine, dont l’édition 2024 est articulée autour de Johann Le Guillerm – avec, par exemple, Le Choeur de Fanny de Chaillé, une pièce qui mêle les gestes et les mots dans une succession collective de saynètes qui imite l’impromptu de la mémoire et du quotidien.
Par Gilles Charlassier
Saga Trilogy I, Orchestre national Bordeaux Aquitaine, 3 octobre 2021