Créée il y a tout juste un an à l’Opéra Comique, la production d’Orphée et Eurydice réglée par Aurélien Bory renouvelle avec habileté la mode actuelle de l’épure et des éclairages tamisés, qu’illustre par exemple le récent Freischütz au Théâtre des Champs Elysées. Il faut reconnaître que la fable du poète Orphée et la partition économe de Gluck se prêtent idéalement à une esthétique décantée. Sur la scène de l’Opéra de Liège, on retrouve la scénographie de Pierre Dequivre organisée autour d’un dispositif de Pepper’s ghost, réfléchissant, avec le concours des lumières modulées par Arno Veyrat, la reproduction sur tissu de la peinture de Corot, Orphée ramenant Eurydice des Enfers. Le rituel funèbre est relayé par des danseurs et des figurants en noir, étendus sur le linceul autour du barde pleurant son épouse disparue avant les évolutions chorégraphiques des Furies. Au-delà des effets visuels, sans doute moins fascinants lorsqu’on les revoit, c’est d’abord une narration efficace avec une belle sobriété de moyens que l’on retient. Le contraste des costumes noir et blanc dessinés par Manuela Agnesini accompagne la lisibilité de la dramaturgie. L’inversion de l’image picturale à la fin de la pièce se montre au diapason du refus des heureuses retrouvailles finales et décrit un retour à la séparation initiale, sans pour autant recourir au retour du lamento augural, que Raphaël Pichon avait cousu sur les dernières mesures.
Un Orphée à haute valeur expressive
En confiant l’ouvrage à l’orchestre de la maison, Liège n’a pas choisi l’option sur instruments d’époque – Favart avait invité l’ensemble Pygmalion – qui n’a pas l’exclusivité de l’intelligence du phrasé classique. Sous la baguette attentive de Guy van Waas, les pupitres wallons mettent en avant une appréciable clarté de l’articulation, au service du plateau vocal. En Orphée, Varduhi Abrahamyan privilégie l’investissement des affects, en s’appuyant sur son timbre nourri et charnu, quitte à faire parfois passer le sentiment avant le mot. La virtuosité de l’air que Berlioz ajouta pour Pauline Viardot, « Amour viens rendre à mon âme », se dévoile d’abord selon sa valeur expressive, au diapason de l’incarnation de la mezzo arménienne. Mélissa Petit réserve une Eurydice délicate, à la ligne aérée, tandis que le babil de Julie Gebhart n’allège pas inutilement la partie d’Amour. Enfin, les choeurs, sorte de colonne vertébrale de l’ouvrage et miroir de la douleur de l’aède veuf, sont assumés avec un engagement remarquable par les effectifs de l’Opéra de Liège, préparés par Pierre Iodice. Si la soirée est assez brève – à peine plus d’une heure et demie –, l’impression sur le public ne l’est pas. Un beau condensé de l’essence du théâtre lyrique : c’est ce que l’Orphée et Eurydice d’Aurélien Bory lègue dans un spectacle amené à voyager en France et en Europe, au gré des coproducteurs, de Caen à Zagreb, et jusqu’à Pékin. La légende d’Orphée est bien universelle.
Par Gilles Charlassier
Orphée et Eurydice, Gluck, Opéra de Liège, octobre 2019