Mon fils, 14 ans, m’a prévenue: « Si les flics t’arrêtent, dis que tu es de droite « . Munie de mon attestation de « déplacement dérogatoire », avec la case cochée 2 (déplacement pour se rendre dans lieu de culte; effectuer achat de biens…), il est 15 heures. La place de la République est noire de monde sur les images youtube et Twitter des comptes d’amis. Sur France Info TV -canal 26- dont le JRI (journaliste reporter d’image) est en amont, déjà presqu’à la place de la Bastille, les bien connus « casseurs » sont à l’oeuvre- en plein direct et, en toute impunité- pas un policier en civil pour les arrêter. Alors, on se souvient nos reportages sur tant d’« Actes » des gilets jaunes en les filmant, photografiant, lire . C’était il y a deux ans, en novembre 2018. On parlait alors d’« infox »; la violence des forces de l’ordre était effarante, entre « nassage « et « gazage », loin des préoccupations des « autres Français »– de cette « France », ou du « citoyen » qui voulait réveillonner en paix, après avoir suivi le samedi les live; croyant tout savoir, regardant pour se faire peur- et cela marchait , n’est-ce pas BFMerde TV- je l’avais rebaptisée ainsi. Avant d’être l’objet moi-même du « buzz », ce site n’étant pas sur les réseaux sociaux- il ne l’est d’ailleurs juste via @villaumbo. Un journaliste doit en effet selon moi prendre le temps; d’écrire un « article » ou un « sujet » radio ou TV et apprendre son metier pour cela, à condition de l’honorer ensuite, en ne restant à faire les bandeaux, loin du terrain. L’info continue, le net ont tout changé. Pour le meilleur et pour le pire- l’instantanéité. Ainsi de ce live de Facebook -4 millions de vues- où je m’étais un peu emballée, lire Checknews du quotidien Libération.
La honte d’être journaliste
Car, la « honte » était alors d’un seul côté. Celui pour moi d’être journaliste. Voir la défiance de « ces gens » lorsque je voulais les interviewer et informer. L’amalgame? Ils le faisaient, tout comme nous, tous comme les forces de l’ordre que certains affrontaient toutefois courageusement, les bras en croix comme un certain Jésus sacrifié. Ils étaient pourtant filmés. Envoyé Spécial avait en prime-time, dès la mi- novembre 2018, le « a voté » quand un flahball partait des CRS ou des policiers, ou de la BAC- on n’y comprenaient rien. Le service public avait fait le boulot, certes mais en laissant montrer l’arbre un soir à Elise Lucet, c’était pour mieux, chaque soir suivant, cacher la forêt à ceux qui s’informaient encore via la messe du 20 heures des JT, ( les journaux télévisés). Et, tandis que j’avais pensé en regardant l’émission: « Demain, c’est sûr, Christophe Castaner, le Ministre de l’Intérieur à l’époque va sauter », eux, depuis longtemps, avaient cessé- écœuré, de la regarder; cette bonne vieille TV qui m’avait pourtant fait rêver, stagiaire en 1994 à la rédaction de France 2 puis de TF1- à l’ambiance si différente, syndicalisme /néoliberalisme (« Tu comprends Laetitia, on est ici payé deux fois plus« ), il fallait choisir entre son métier ou son loyer. Comme déjà et toujours, n’importe quel employé.
La machine à informer gripée?
C’est donc, entre eux, sur Facebook, qu’ils s’informaient. Merde, j’avais, « nous, les journalistes » avions donc loupé quelque chose dans cette France où les politiques se sont mis à parler comme des charretiers- de Benjamin Grivaux à Gérald Darmanin en passant par Emmanuel Macron-vous choisirez. Et tandis que la plupart de mes amis travaillent à perte, ou pigent comme des mendiants pour garder leur carte de presse, c’était difficile de leur expliquer que, comme eux les JRI (journaliste reporter d’image) et jeunes présentateurs obligés à la fin de cacher leur média sous peine d’être lynché, était aussi mal payé. Un OS – « ouvrier spécialisé » de l’info-voilà ce qu’il avait en face d’eux; payé le SMIC, s’accrochant à un job dans une profession sinistrée. Et ne rédigeant pas les bandeaux affichés à l’antenne sur les images qu’il envoyait; il fallait tout le temps quelque chose à voir. Jusqu’à vomir, jusqu’à l’image qui choque les uns, rassures les autres. Emmanuel Macron via son ministre félicitait chaque samedi soir les forces de l’ordre. Lui aussi voulait les rassurer, eux qui avaient inventé « la crotte virtuelle ».
Mélanger les couleurs
Acte après acte, samedi après samedi, les CRS prenaient des insultes, « Suicide-toi » entendu encore ce samedi 28 novembre 2020. Des robots? Non, eux aussi des hommes, juste du bon côté- s’il en reste un. Recevant des ordres d’un PC équipé de caméras, des ordres sans jamais savoir pourquoi. David Dufresne l’a maintes fois expliqué, avant de devenir une « star » grâce à son compte boite aux lettres » ALLO, Place Beauvau, c’est pour un signalement ». A mon niveau, j’ai voulu comprendre, parler aussi avec eux. Le droit à l’image? Je l’ai toujours respecté, au milieu des milliers de portables qui filmaient comme une nuée de taons sur un cheval qui, à force devient affolé- . Alors, avant que les flashballs de la BAC ne mutilent, n’éborgnent, des CRS m’ont parlé des heures dès le petit matin passées à attendre, samedi après samedi, sans aller aux toilettes jusque tard dans la nuit. L’épuisement, le manque de formation, de connaissance du terrain-la plupart ne connaissent pas Paris. Attention, cela n’excuse rien, juste de mélanger les couleurs- il n’y a pas du noir ou du gris comme sur certains plateaux télévisés on l’on généralise à l’envie- c’est là tout le danger. CRS, BAC, police, gendarme, ce serait déjà bien qu’Alliance, le syndicat « police » explique que tous ces corps sont différents et devraient rester ce pour quoi et où ils ont été formés, qu’il n’y ait pas d’amalgame. Les flics? C’est un peu plus compliqué.
La France aurait-elle les journalistes et la police qu’elle mérite?
Lorsque les « médias classiques » reprenaient en décembre 2018 à 20 heures les vidéos filmées par des journalistes passés sur le net comme Stéphanie Roy du site d’infos Lineup, elles étaient tronquées. On en gardait là encore ce que l’on voulait faire passer: Regardez, » ils » -sous-entendu- les gilets jaunes, encore une généralisation, « s’attaquent même à ce policier motard qu’ils ont fait tomber à terre pour le frapper ». Ce que le vidéo montrait avant: la foule joyeuse, pacifique. Puis, deux motards qui, n’étant absolument pas dédiés au maintien de l’ordre vu leur moto faite pour accompagner les convois, arrivent, tels deux cow-boy lancés dans la mêlée…L’un d’eux glisse, sa moto tombe, juste après avoir jeté une bombe lacrymogène; à terre, il reçoit un jet de trottinettes par une ombre que les gilets jaunes autour tentent en toussant de stopper. Au 20 heures, cela n’est plus qu’une scène pour montrer la violence envers « les forces de l’ordre » des « manifestants ». Comme, à 22 heures ce samedi soir, sur BFMTV, CNEWS avec les images de « manifestants » violents et donc violemment dispersés. Et des journalistes, qui semblent au moins réconciliés face à une loi qui restera
Réponse sur le terrain ou …pas
Etait-ce les mêmes CRS qui, à 16 heures attendent place des Vosges, ou les « ex-voltigeurs », sur des petites motos à deux- l’un conduit, l’autre matraque; ils avaient le sourire aux lèvres lorsque j’ai évoqué Malik Oussekine, je ne suis pas sûre qu’ils le connaissaient. Cet étudiant de 22 ans frappé à mort dans le hall d’un immeuble où il s’était réfugié une bavure qui avait laissé la France de 1986 en émoi. Les codes n’existaient pas, la vidéosurveillance encore moins.
Ce samedi 28 novembre 2020, il n’y a eu aucun mort; la police annonce vingt sept gardes à vues, vingt neuf blessés parmi ses pairs et tout était filmé. Les ordres ont dû aussi être strictes vu le « gratin » présent, Edwy Plenel, patron de Médiapart, Luc Broner, directeur des rédactions du Monde mais aussi Olivier Faure, Secrétaire général du PS, Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise, bien sûr déjà tous partis quand ce fut « la guerre » place de la Bastille. Faux/ Fake contre la vérité de qui, sur quoi? Didier Lallement prépare la chute en images. L’ appel à se rassembler pour les syndicats de journalistes contre l’article 24 de cette loi sécuritaire votée en douce par l’Assemblée Nationale est devenue une « marche pour les libertés ». La liberté de « vivre » pour celles dénonçant les féminicides ( au passage, je me suis fait cracher dessus deux fois au visage, oubliant dans le feu de mon action de remettre mon masque, trois heures plus tard, en marge de la manifestation par un type ivre qui rudoyait une femme SDF, en hurlant « c’est ma femme » ), mais aussi celui de ne pas porter le masque à l’extérieur comme cette italienne qui, en dessous de son sac en papier troué pour les yeux, m’a montré son chapeau et voile portés pour sortir durant l’heure quotidienne autorisée ses dernières semaines. Le droit de pouvoir aussi travailler-là ce sont des parents restaurateurs d’amie de ma fille, 15 ans; le droit de pouvoir survivre, là, c’était des gilets jaunes, encore -eh oui- on annonce un million de pauvres en plus pour 2021, les nouveaux « pauvres » du COVID et celui, enfin, largement majoritaire, à l’origine de la plus grande manifestation depuis le confinement de pouvoir continuer à montrer les violences policières. « Ne plus pouvoir filmer ». Bon, disons que « très mal écrit « comme on disait sur les plateaux TV dans la soirée, il prévoit un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour quiconque filme un représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction et pourrait ainsi lui nuire, physiquement et psychiquement. Avant de partir en navette au Sénat en janvier, puis de revenir. On a donc encore de beaux samedis devant nous, et pas seulement de déconfinement.
Par Laetitia Monsacré
Ps: Prière de nous excuser pour la relecture, le secrétariat de rédaction n’est pas toujours disponible.