« J’en ai trop pleuré, j’en ai trop vécu. Je refuse de rêver à une sortie, de penser comment ça va être. Je ne peux plus, c’est au dessus de mes forces ». Le 21 Mai, Florence cassez pourrait être libre, enfin. En novembre dernier, Patrice du Tertre a réalisé L’ultime recours pour France 5 sur Florence Cassez. Un documentaire comme une plaidoirie – minutieux, efficace, de ceux dont on sort les yeux plus ouverts. La dernière séquence est filmée dans le salon des parents de Florence, Charlotte et Bernard qui concluent: « On attend que le téléphone sonne. » Six ans d’espoirs déçus, à se dire, pour elle dans sa prison mexicaine, pour eux en France, pour leurs avocats, que c’est impossible qu’elle puisse rester soixante ans enfermée pour un crime qu’elle n’a pas commis.
Une affaire d’Etat
Ce mercredi, le téléphone a sonné. Un juge mexicain, Arturo Zaldivar, rapporteur à la Cour suprême du Mexique, a proposé la libération « immédiate et absolue » de la française, pour le non respect de ses droits lors de l’instruction. Un vice de procédure soulevé pour condamner de façon détournée tout un système fondé sur l’impunité et la corruption. Cela, sans y aller frontalement comme Nicolas Sarkozy en 2008. A la suite de la promesse non tenue que lui avait fait le Président Calderon que le jugement en appel ne serait pas rendu avant sa visite d’Etat, le Président français avait alors publiquement dénoncé cet affront- ôtant toute chance à Florence Cassez d’être extradée. L’Etat avant la personne. Voilà le drame de cette histoire sordide née d’une association qui tourne mal pour aboutir à une affaire d’Etat, où même le Vatican interviendra.
La soeur qui paye pour son frère
Florence venait de signer un bail pour emménager dans un appartement à Mexico lorsqu’elle a été arrêtée. Elle était alors tout juste montée en grade dans un grand hôtel où elle s’occupait des clients les plus importants. Pas vraiment le profil d’une kidnappeuse en mal d’argent… Mais voilà, son frère Sébastien, installé à Mexico, homme d’affaire important a décidé deux mois plus tôt de se séparer de son associé, très proche du pouvoir et de la police. Lequel, ivre de rage, le menace de mort, lui, sa femme et ses enfants. C’est finalement, la soeur qui tombera dans une machination implacable dans un pays où les droits civiques sont si ténus. Arrêtée sous les yeux de plusieurs témoins sur la route alors qu’elle déménage ses meubles avec son ex- petit ami, elle est détenue jusqu’à l’organisation le lendemain d’une reconstitution grossière d’arrestation diffusée en direct à la télévision. Les images circuleront des jours durant, telle une superproduction de la libération par la police en arme de ces trois pauvres otages, censés être détenus par cette jeune fille étrangère et son ami mexicain; la première, apparaissant abasourdie, le second, le visage portant des traces de coups. 70 % de la population au Mexique a peur des enlèvements, alors tous les mexicains ce soir-là, parce que c’est prouvé par les images, se diront que cette étrangère « qui vient passer du bon temps dans leur pays et leur fait un chose comme ça » doit payer. Lourdement. 96 ans de prison après deux ans et demi d’instruction alors que très vite, des journalistes se rendent compte du montage et que les preuves et témoignages s’accumulent-mais le juge refusera de les entendre- qu’elle a été arrêtée en fait la veille.
Trafic d’influence
Elle le dira en direct dans une émission de grande écoute depuis un téléphone de sa prison et en sera punie par un transfert dans une prison de haute sécurité- trois mois sans contact avec l’extérieur. Deux des anciens otages qui avaient dit ne pas l’avoir vue se rétractent, une fois installés aux Etats-Unis, la récompense évidente d’un marché. Une enquête parallèle menée par l’église mexicaine à la demande du Vatican, 27 enquêteurs pendant deux mois, révélera que l’un d’eux est l’ancienne femme de ménage de l’associé éconduit et haut placé. Et que Florence est innocente. Mais personne n’osera le dire, car comme le dit en souriant Pedro Amoscello, le secrétaire épiscopal, « si je me retrouve à l’hôpital ou au cimetière, je ne pourrait plus aider Florence ». Ainsi, plusieurs intervenants de ce documentaire diffusé en novembre dernier ont demandé à être flouté et même le frère de Florence, pourtant rentré en France a réclamé que son lieu de vie reste anonyme. Car, si ce rapport a été remis au Président Calderon qui a refusé de le lire, à sa femme qui, elle, l’a lu et au Président de la Cour Suprême du Mexique, c’est une peur indicible qui règne autour du redoutable et ultra corrompu chef de la sécurité publique, Genaro Garcia Luna.
Devenue un symbole
A trois reprises, les juges la condamneront, sans audience. La dernière fois, c’était il y a un an. Ses parents ont eu peur alors qu’elle fasse une bêtise. Dehors, des mexicains militent désormais en sa faveur, comme une mission « d’évangélisation » dit l’un d’eux. Car ce qui est certain dans cette histoire, c’est qu’après avoir été emprisonnée dans un anonymat total pendant deux ans et demi, Florence Cassez est devenue un symbole. « C’est un battante » dit justement son père. Mais si la Cour Suprême ne valide pas cet « ultime recours » dans cette affaire si bien racontée par Patrice du Tertre, Florence dit bien « ne pas voir l’intérêt de continuer, (…) montrer qu’on va bien à ceux qu’on aime alors que ma vie est remplie de ma douleur, de leur douleur et qu’eux non plus ne vivent pas, même en étant à l’extérieur ». Ainsi, avec Florence, sommes- nous un peu tous en prison. Et si son avocat dit qu’il n’y a pas lieu de désespérer de la justice et de l’humanité, espérons que les juges mexicains confirment cela dans les jours qui viennent, premier tour opportun des élections ou pas.