Avouons-le, nous sommes nombreux à associer souvenirs de sorties scolaires à la Comédie Française. Et penser par la suite, en matière de théâtre public, plutôt au Théâtre de l’Odéon ou de la Colline. La salle Richelieu, qui vient de se refaire une beauté, offre pourtant de très belles surprises cette saison comme ce Hamlet revisité par le metteur en scène anglais Dan Jemmet ainsi que l’Antigone de Jean Anouilh, entré au répertoire du Français en 1971 et jusqu’alors très injustement boudé. A en croire de nombreuses critiques, la version traduite en 1994 par Yves Bonnefoy du chef d’oeuvre de Shakespeare, réflexion sur la mort s’il en est « Tout ce qui vit doit mourir », était bien longue. A voir la pièce et le public conquis, on aurait envie de dire à ces tristes sires que c’est eux qui sont un peu courts…Quel régal que cette version moderne et parfaitement juste-ce n’est pas toujours le cas comme le démontre l’Odéon depuis pas mal de saisons- où Denis Podalydès incarne le prince danois mélancolique puis vengeur avec un bonheur communicatif. La fresque humaine imaginée par Shakespeare est toujours là, transposée dans un club-house des années 70 qui avec son juke box diffuse Elvis Presley. L’urinoir sert de cachette au prince, les néons accompagnent la folie d’Ophélie et les coupes de tournoi d’escrime servent à empoisonner et font naître un brillant huis-clos « dont l’intrigue ressemble à un fait divers » s’amuse le metteur en scène. Des « draps incestueux », « des pasteurs qui montrent la voie des ronces vers le ciel », un roi, tenancier du bar qui demande du feu au public et regarde un match de foot, voilà le décor prêt pour la tragédie, avec cette reine qui a épousé deux mois après être veuve le frère meurtrier de son mari, une jeune fille innocente « faite pour finir ainsi », noyée-sans doute suicidée, répondant à sa façon à la question « Etre ou n’être pas« …Car malgré cette relecture contemporaine, c’est toute la beauté de la langue shakespearienne que l’on retrouve « Brise toi mon coeur car je dois me taire », « Heureux de ne pas être trop heureux », « Respire à regret de cet air si pur ». La fin arrive, tragique forcément « Un noble coeur se rompt » et c’est toute la salle qui applaudit le modernisme talentueux qui a permis de passer trois heures avec un grand texte sans voir le temps passer.
D’un coeur pur, l’autre
Antigone, de retour après son arrivée l’année dernière au Vieux Colombier, déclenche à juste titre la même adhésion du public. Anouilh n’a en effet pas son pareil pour convaincre à travers ses personnages, disant le blanc pour imposer le noir. Rarement auteur a su à ce point pratiquer l’art de la thèse et de l’antithèse avec le même talent. Le geste meurtrier de Créon devient ainsi limpide, au point que l’on se demande si Antigone ne va pas céder. Mais on est ici dans la tragédie, « reposante car on sait qu’il n’y a plus d’espoir ». Antigone, cette soeur qui se sacrifie pour un frère scélérat, est celle qui dit non et « s’éloigne de nous car nous n’avons pas à mourir ce soir ». En écrivant cette pièce s’inspirant de Sophocle, en pleine occupation allemande, Jean Anouilh a signé un manifeste pour la résistance mais également tenté de montrer que mourir n’était pas toujours la chose la plus difficile. « C’est facile de dire « non », « attendre que l’on vous tue, c’est lâche », Créon se défend terriblement bien en homme qui doit faire régner l’ordre, loin du tyran sans conscience face à l’envie d’absolu d’Antigone, qui a choisi de « poser les questions jusqu’au bout ». Et de ne pas dire oui, de ne jamais prendre « la pauvre tête de candidat au bonheur », ni d‘ »accepter votre vide ». Ainsi finira-t’elle « bien raide, bien inutile », héroïque face à sa soeur qui, elle, veut vivre.
La distribution, au service d’une mise en scène sobre et évidente, est éblouissante avec Françoise Gillard d’une fraîcheur habitée et Bruno Raffaelli impérial et humain; « Sans Antigone, vous auriez été bien tranquille » conclut la jeune suppliciée, qui revient aussi sur la recherche d’absolu dans l’amour cher à Anouilh (Colombe, La Sauvage) –« C’est plein de disputes un bonheur » et offre au public présent une de ces pièces qui résonnent encore en vous longtemps après avoir quitté la salle.
LM
Antigone de Jean Anouilh jusqu’au 2 mars 2014, Hamlet jusqu’au 12 janvier 2014-Salle Richelieu, Comédie Française