2 octobre 2024
Maylis de Kerangal/ Retour au Havre

Dix ans tout juste après Réparer les vivants, magnifique roman choral sur la greffe d’un coeur, qui obtint dix prix littéraire, Maylis de Kerandal retourne dans sa ville natale, le Havre, à la faveur de son dernier roman Jour de ressac. On y retrouve son écriture ample, des phrases longues qui vous saisissent et vous plongent, en apnée, dans ce récit, mêlant les descriptions de la ville portuaire défigurée par les bombes des alliés, à l’enquête sur un inconnu retrouvé mort sur la digue. Sur lui, aucun papier, juste un ticket de cinéma où est écrit le numéro de téléphone de la narratrice. Doubleuse-voix installée à Paris, elle va devoir reprendre le train- Paris Saint Lazare, Rouen, Yvetot, Bréauté-Beuzeville- jusqu’au Havre, et se confronter à ses souvenirs dans cette cité de béton reconstruite à la va-vite après la seconde guerre mondiale. Personnage à part entière du roman, la ville suppliciée offre l’occasion à l’écrivaine de revenir sur le drame originel où, sous un tapis de bombes comme aucune autre ville n’en a connu, deux mille civils périrent. La fournaise qui mit un mois à s’éteindre, la mer qu’on voyait de la gare, pourtant située à des kilomètres de là, et partout « (…), une matière nouvelle, une substance inédite que la guerre a créée, corps plus ou moins compact de toits, de portes et d’escaliers, de murs aux fenêtres vides, fusion de pignons et de poutres, de matelas et de chevaux, de photographies et de machines à coudre, magna de faïences, de poussettes, de vélos et de pyjamas, lave de transistors et de chiens, purée d’autobus, de casquettes et de banderoles, pâte de choses humaines avec des morceaux d’humains dedans (…). On pense à Gaza, à Marioupol.
Mais, s’il est beaucoup question de la mort, entre la trame du récit et l’évocation de la ville martyre, la vie palpite au fil des pages et des rencontres; la caissière amoureuse au Channel, cinéma de quartier, l’inspecteur Zambra, en charge de l’enquête, jusqu’au conducteur de l’engin qui terrasse quotidiennement les galets sur la digue et qui a découvert le corps. Maylis de Kerandal en dresse des portraits emplis d’humanité, traitant les personnages secondaires avec autant d’attachement que ceux qui servent l’intrigue. Ainsi, le compagnon de la narratrice, double de l’auteure: « Blaise connait mon penchant pour les histoires. Celles que je me raconte, celles que je raconte aux autres, celles où je me démultiplie, où je peux me cacher, redevenir une inconnue, en finir avec moi. Les histoires, c’est ta tendance, c’est ta gravitation interne, c’est ce qu’il me chuchote à l’oreille tandis qu’il pose une main à l’arrière de ma tête, sa paume tel un aimant chaud, comme s’il cherchait à faire venir par haptonomie les récits qui circulent dans ce petit sac cabossé qu’on appelle l’occiput. » On serait tenté de citer tout le livre, qui fait partie de la première sélection au prix Goncourt. Une belle occasion d’honorer cette écrivaine accomplie et sa maison d’édition, Verticales, à laquelle elle demeure fidèle depuis ses débuts.

LM

Jour de ressac de Maylis de Kerandal, aux Editions Verticales, 21 euros

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