L’écrivain Daniel Pennac l’ a bien écrit : « L’avenir, c’est la trahison des promesses ». Il semble que Manuel Valls ait suivi à la lettre cette maxime. Oui, il a préféré son seul avenir au détriment de ses promesses. Au détriment de la crédibilité de sa parole. Au détriment de son appartenance partisane. Que vaut désormais la parole d’un ancien Premier ministre ? Que vaut désormais la parole d’un hiérarque socialiste ? La réponse est simple : rien ou plus grand-chose.
La fin du Parti socialiste
Ainsi s’éteint doucement le Parti Socialiste d’Epinay dans un concert de trahisons, de défections, de reniements et de batailles d’égos. Ainsi se meurt, non pas la gauche qui plus que jamais doit être vivante, mais bien une certaine façon de penser un parti avec ses règles et ses logiques. Le Parti socialiste d’aujourd’hui ressemble à la vieille SFIO à la veille de sa mort. Jean-Christophe Cambadélis s’apparente à un Guy Mollet incapable de trancher dans le vif et qui s’accroche encore à un espoir de synthèse. Peut-être espère-t-il que les militants, une fois encore, peut-être une fois de trop, laisseront faire, pardonneront et jugerons plus important de se réunir en dernier ressort, et ce malgré des différences béantes, plutôt que de briser définitivement la machine. Quelle erreur d’appréciation. Tout le monde voit bien que le Parti socialiste est mort, brisé entre une gauche qui s’affirme dans une certaine radicalité et une gauche éthérée, sociale libérale qui pourrait et va sans doute travailler main dans la main et sans grande difficulté avec le centre et une partie de la droite sous l’étiquette du modernisme et du refus des vieux clivages chapeautés par Emmanuel Macron. Macron dont il faut bien reconnaître qu’il joue une partition qui touche presque à la perfection et qui engrange sans rien expliciter, sans rien proposer de concret, sans incarner un seul instant la fonction présidentielle.
Le ralliement
De guerre lasse, puisque Manuel s’est fait piquer la place, le ralliement était la seule solution. Il espérait incarner l’avenir, cet avenir au-delà de la gauche et de la droite, au-delà des idéologies et des postures. Peine perdue. Il agite pour se justifier le danger du fascisme et la vitalité démocratique de la République. Il agite aussi le spectre d’une campagne socialiste trop à gauche, trop radicale, trop utopiste. Manuel n’a plus les idées claires ! Que pourrait proposer la gauche autrement qu’un programme de gauche ? Sans doute le catalan énervé a-t-il oublié depuis longtemps ce que cela signifiait d’être de gauche. Le flou qui s’est installé dans son esprit et la schématisation de la vie politique entre une gauche de gouvernement réaliste et une gauche frondeuse trop rouge pour être crédible qu’il assène depuis tant d’années révèlent combien l’homme d’Evry est hors des clous. La campagne de Benoît Hamon patine. Le candidat socialiste va finir aux alentours de 10%. Mais si le frondeur est sans doute responsable d’une certaine façon des nombreuses défections qu’il subit, si la gauche est dans cet état c’est bien la responsabilité de Manuel Valls, pièce maîtresse et centrale du quinquennat hollandais. Il est si simple d’oublier ses propres responsabilités et de les déposer sur d’autres épaules. Le souci de soi-même semble toujours être le plus fort. L’ambition de Manuel Valls est si forte, sa rancœur est si profonde, sa défaite à la primaire lui paraît si douloureuse et injuste, qu’il en a oublié toutes les règles de bienséance et de respect. En 2007, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius avaient attendu le soir du second tour pour dézinguer Ségolène Royal et sa campagne. Ils avaient, sans enthousiasme, participé à sa campagne présidentielle. Et même si Ségolène Royal leur paraissait illégitime, bons petits soldats et bien que préparant l’avenir, ils avaient respecté leur parole. C’était encore le temps où la parole donnée devait être respectée. C’était encore le temps où l’ambition rendait intelligent. Car ce dont a fait preuve Manuel Valls c’est bien d’une stupidité flagrante. En agissant de la sorte, à savoir jouer contre son propre camp, il s’est tiré une balle dans le pied. Il trainera cette trahison comme une casserole pendant longtemps. Quelle sera sa crédibilité lorsqu’il sollicitera l’adhésion et la confiance de ses pairs socialistes ? On lui renverra au visage sa conduite indigne, sa volonté d’émancipation personnelle et son rejet d’une partie de la gauche.
De socialiste à démocrate
Manuel Valls, pour sauver sa peau, a définitivement terminé sa mue. Il a choisi d’afficher son visage, enfin au clair et a choisi d’imposer l’implosion du Parti socialiste. Le parallèle avec le SPD allemand, voire même le New Labour de Tony Blair, a souvent été fait pour démontrer l’archaïsme des socialistes français. Manuel Valls a donc poussé pour qu’enfin existe le Bad Godesberg français. La présidentielle est perdue pour les socialistes, les législatives seront dangereusement incertaines et après tout sera à redessiner, à recadrer, à redéfinir. Manuel Valls s’est placé pour jouer un rôle. Oublions les soucis des français et organisons notre petit pouvoir. Comme en Italie – Valls et Renzi étaient si proches et représentaient cette nouvelle génération de leaders réformistes, on a vu le résultat pour l’un et pour l’autre – le mot socialiste disparaîtra pour être supplanté par le mot démocrate. Ainsi il sera plus simple de dépasser les résistances. Démocrates, modernistes, progressistes voilà le nouveau charabia des années futures. Par son acte Manuel Valls a fait du Parti socialiste une formation à l’avenir minoritaire. Quelle honte d’enterrer ainsi son camp et le parti qui lui a tout donné. Quel manque de reconnaissance. Quel manque de fidélité.
On regarde ça désillusionné, perdu, attentiste, en colère. Mais ils s’en foutent. Vive leur avenir, vive leurs postes, vive leur petite autorité. Se serait-il permis d’agir de la sorte si François Mitterrand ou même Lionel Jospin étaient encore premiers secrétaires ? Sans doute non, mais le manque de rigueur morale engendre les comportements égoïstes. D’une certaine façon, dans cette France qui a tant besoin de probité, il est peut-être bon que Manuel Valls sorte du bois et des postures, ainsi les citoyens pourront porter sur lui le seul jugement qu’il mérite : indigne de confiance !