2 juillet 2024
L’Offrande musicale : Bach, Schubert et la grâce

Depuis sa première édition, L’Offrande musicale, rendez-vous unique dans le paysage musical, imaginé par David Fray, met le violon à l’honneur, avec, pendant les trois premières années, de 2021 à 2023, une résidence artistique de Renaud Capuçon. Si, depuis, le soliste français conserve des liens avec le festival, c’est la relève que le directeur artistique invite sur la scène à ses côtés en cette année 2024, avec la figure de Daniel Lozakovich.

A Loudenvielle, dans la salle de l’espace Valgora avec vue panoramique sur le soir qui tombe, le duo propose un programme autour de Bach qui s’ouvre avec la Sonate n°1 en do mineur BWV 1014. La complémentarité des deux instrumentistes s’affirme dès la douceur retenue de l’Adagio liminaire avec laquelle contraste la vivacité d’un Allegro. Le moelleux de l’archet, dont l’intonation trahit quelques raideurs passagères, s’épanouit dans l’Andante, avant une faconde qui se mêle à celle du clavier dans le finale. Plutôt que la Partita annoncée prématurément dans le menu de la soirée, David Fray choisit l’un de ses compositeurs fétiches pour son apparition en solo, Schubert – son premier enregistrement en 2006 mettait en regard le compositeur viennois avec Liszt –, dont il joue le Klavierstücke n°2 D946 en mi bémol majeur et deux des Six Moments musicaux D780. Dans le D946, il éclaire, avec une sensibilité sur le fil entre délicatesse et bruissement émotionnel, le kaléidscope changeant du balancement modulatoire de cette page ample aux allures de fantaisie. Cette fluidité expressive et formelle est révélée avec une intelligence instinctive, que l’on retrouve dans l’ambivalence des sentiments du n°2, Andantino en la bémol majeur du D780, où affleurent des accents dramatiques toujours contenus dans l’intimisme à fleur de peau de cette miniature d’une évidente richesse d’inspiration. Sous les doigts du pianiste français, la carrure rythmique et l’énergie plus franche du n°5, Allegro vivace en fa mineur, n’oublie pas pour autant le souvenir des demi-teintes. La parenthèse schubertienne se referme avec le retour sur le plateau de Daniel Lozakovich pour la Sonate pour violon et piano n°5 en fa mineur BWV1018, où l’on retrouve les deux musiciens dans l’élégance élégiaque du premier mouvement, avant la vitalité de l’Allegro. L’Adagio met en évidence le phrasé éthéré du violon qui, dans le finale, glisse sur le canevas volubile du piano.

Complicité musicale

Cette fluidité de l’articulation, parfois aux confins de l’évanescence, qui a proclamé le raffinement du talent précoce du soliste suédois, se retrouve, après l’entracte, dans la Partita n°2 en ré mineur BWV1004, véritable pierre de touche pour l’intelligence musicale des violonistes. Dès l’Allemande augurale, on devine la maturation de la sonorité de Daniel Lozakovich, avec une granulation plus dense qui se confirme dans une Courante emmenée par une discrète nervosité dans l’intériorité expressive pour laquelle la Sarabande et la Gigue sont des piédestaux vers l’immense Chaconne. Le sens lumineux de la construction est portée par une évidente alchimie entre la sensible coloration de la modulation harmonique et l’intensité du sentiment. Cette lecture où la pureté du vibrato, qui ne se confond plus avec la placidité, et se conjugue à un élan que l’on pourrait qualifier de romantique, se referme sur un point d’orgue s’effaçant lentement dans le silence, en un geste, certes émouvant mais sans doute inconnu de l’âge baroque, et qui semble ne pas faire assez confiance à la puissance d’éternité de la perfection formelle de Bach. Le duo avec David Fray se reforme pour la Sonate n°3 en mi majeur BWV1016, rayonnante depuis un Adagio suspendu jusqu’à un finale étourdissant, en passant par un Allegro souriant et un Adagio ma non tanto magnifié par un lyrisme calibré avec une belle justesse. Après ces sommets de l’art, un bis Kreisler offre un viatique détendu pour la fin de soirée, sans renoncer à la pureté virtuose. A l’issue de cette démonstration de complicité, Daniel Lozakovich est entré dans cette famille de L’Offrande musicale réunie autour du partage, par-delà les barrières de la norme, et qui attend d’ores et déjà son retour dès l’année prochaine.

Par Gilles Charlassier

L’Offrande musicale, du 29 juin au 11 juillet 2024, concert du 8 juillet 2024 à Loudenvielle

Articles similaires