L’écrivain d’origine vietnamienne Linda Lê ressuscite un mort – lui aussi originaire de Saïgon – dans son dernier livre Lame de fond, qui fut sur les listes de la plupart des prix de la rentrée. Et n’eut rien.
Le roman commence par ces mots du héros, Van : « Je n’ai jamais été bavard de mon vivant. Maintenant que je suis dans un cercueil, j’ai toute latitude de soliloquer. Depuis que le couvercle s’est refermé sur moi, je n’ai qu’une envie : me justifier, définir mon rôle dans les événements survenus ». Il ne s’agit pas d’un énième récit fantastique ou déambulent les fantômes, mais plutôt d’une fine Confusion des sentiments en référence au roman psychologique de Stephan Zweig, ou plutôt d’une confession dont le style archaïque mais original, évite toute prévisibilité.
Destins croisés, destin manqués
Quatre pénitents sont à confesse donc. Livrant chacun leur point de vue et analysant comment ce funeste évènement-la mort de Van est arrivé. Les voix alternent à la manière des récits épistolaires du 18ème siècle. Quatre voix, bouleversantes chacune à leur manière, dotées d’une personnalité forte, creusée en profondeur. Il y a la fille d’abord, l’ado underground qui « rave » sur Dark Metal et fume des joints ; Lou, l’épouse stoïque mais pas dupe. La sœur-amante eurasienne, borderline, qui « avale du Stilnox », et enfin le défunt-narrateur – annamite hybride – ni vietnamien ni français qui se présente ainsi : « je n’étais pas de mon temps, mais je ne regrettais pas le monde de jadis ».
Du deuil à l’amour
La perte et l’amour sont toujours inextricablement liés dans les romans de Linda Lê.« Je laisse derrière moi les trois femmes auprès de qui j’ai appris la signification du mot AMOUR ». L’auteur offre encore une fois, une vision très personnelle et belle du processus de deuil : le vivre-avec. « Malgré elles, toutes trois feront table rase de ce qui les empêcher d’avancer. La vie reprendra le dessus, une mue s’opérera en elles, le temps viendra où, sans être amnésiques, elles se jetteront vers le futur, où elles s’éveilleront à de nouvelles exaltations. La terre ne s’arrêtera pas de tourner parce que j’ai trépassé. «
Alors, faut-il tenter de retrouver l’être perdu par des pèlerinages sur les lieux, aller « au Old Navy, son QG? A la filmothèque du Quartier latin lorsqu’il y a une de ces reprises qu’il attendait impatiemment ? A la librairie L’Harmattan pour fouiner ? En relisant les mails et les lettres de Van ? … ou au contraire, en faisant disparaître tout ce qui lui rappelait Van ?… en avalant des calmants ? …En cherchant dans les romans un moyen de fuir ? » se demande ainsi une des « survivantes ».
Un récit sur l’écriture
« Le goût de Van pour les formules vieillies est contagieux »; vous risquez d’être d’accord avec les mots de sa fille, en découvrant des expressions qui rappellent les vacances chez ses grands-parents. Linda Lê communique merveilleusement bien le plaisir salvateur de l’écriture. La femme devenue criminelle malgré elle explique sa motivation à prendre la plume : « Hugues m’a dit que je devrais écrire ma confession, cela allégerait ma culpabilité. Je n’ai pas coutume de m’ausculter mais je vais suivre ses conseils, même si je ne fais que barbouiller du papier, même si mes redites ne mènent à rien ». Ainsi l’aspect thérapeutique de l’écrit se communique-t’il au lecteur avec qui sait, à la fin de ce beau livre de reprendre votre vieux journal intime si vous en avez un qui est resté au fond d’un tiroir.
Par Elodie Terrassin
Lame de fond, de Linda Lê publié chez Christian Bourgois, 17 €.