Aller voir un spectacle de Castellucci constitue toujours une expérience troublante et inoubliable. L’année dernière, il s’attirait les foudres irrationnelles d’une communauté catholique intégriste en présentant le désespoir d’un fils condamné à nettoyer interminablement les déjections de son père, devant le visage gigantesque d’un Christ magnanime. Il revient cette fois, au Théâtre de la Ville, avec un spectacle moins scandaleux mais non moins dérangeant. Présenté à Avignon l’été dernier, il s’intitule The Four Season Restaurant et est une nouvelle réussite. Le programme distribué à l’entrée de la salle, comme à l’accoutumée au théâtre, est ici un support conceptuel facultatif. Il indique l’identité entre le nom du spectacle et celui d’un luxueux restaurant new-yorkais qui commanda au peintre Mark Rothko en 1958 une série de tableaux pour agrémenter du dernier chic l’environnement visuel de ses hôtes. Rothko produisit les toiles, les plus radicales et monumentales de sa carrière-certaines sont aujourd’hui exposées à la Tate Modern à Londres, mais refusa au final de les livrer au restaurant et se suicida quelques années plus tard. Le spectacle s’inspire de cet acte et l’exprime à travers la langue d’Hölderlin. Son poème La Mort d’Empédocle raconte en effet comment le philosophe antique fut conduit à se donner la mort en se jetant dans l’Etna, après avoir été vénéré puis rejeté par ses contemporains qui l’accusèrent de blasphème. Les trajectoires héroïques de ces deux figures représentent la rupture de l’artiste avec la société, qui choisit le néant plutôt que le compromis. Pour apprécier la création de Castellucci, vous pourrez très bien vous passer de ces informations car, une fois que vous savez cela, vous ne savez rien de ce que The Four Season Restaurant donne à voir…
Un théâtre immersif et spectaculaire
Plasticien et metteur en scène, Roméo Castellucci crée, avec la Societas Raffaello Sanzio, des spectacles en forme de diptyque. Une première partie est souvent théâtrale, ici elle emprunte à la tragédie classique sa langue, sa gestuelle et son emphase. La deuxième est purement expérimentale, au sens où elle met la sensibilité du public à l’épreuve d’images choquantes, d’effets visuels grandioses et de sonorités agressives. La succession des scènes ne cherche pas nécessairement à respecter une logique. Il s’agit davantage d’une longue métaphore composée d’évocations multiples qu’aucune interprétation ne saurait expliquer. Si les créations de la compagnie italienne garantissent toujours une surprise, elles sont toutefois identifiables par l’utilisation d’éléments récurrents. On trouvera notamment, cette fois encore, l’animalité, grandeur nature, vivante et morte – un chien et un cheval. Des changements de décors spectaculaires qui flirtent avec la prestidigitation. Une atmosphère anxiogène qui rend manifeste la réaction du corps, entre tension et frisson. La maîtrise de la mise en scène et la précision des effets sont combinées au profit d’une puissance esthétique désarmante. On aime ou on déteste, mais on ne peut y rester indifférent. On en ressort forcément bouleversé.
RB
The Four season restaurant au Théâtre de la Ville jusqu’au 27 avril