A côté des incontournables étapes du mélomane festivalier, souvent dans les régions méridionales et sur quelques célèbres sites patrimoniaux, d’autres rendez-vous jouent une partition plus singulière, dans un territoire à l’histoire qui ne l’est pas moins, à l’instar de la Forêt de Saoû dans la Drôme, qui fut un refuge pour les protestants et les maquisards et constitue l’épicentre d’un festival plus que trentenaire, dirigé par Philippe Bernold depuis 2017. Seule manifestation française dédiée à l’enfant prodige de Salzbourg, Saoû chante Mozart tisse, depuis la reprise par le flûtiste et chef d’orchestre français, des liens avec les compositeurs qui ont nourri Mozart et ceux qui s’en sont inspirés autour de thématiques habiles. Pour l’édition 2023, c’est sous le signe des œuvres ultimes que la programmation est placée – avec entre autres le Requiem et la Symphonie n°41. Le dimanche 9 juillet, dans l’Eglise Saint-Sauveur de Crest, à une quinzaine de kilomètres de Saoû, l’une des promesses du quatuor français, qui a désormais remarquablement mûri, le Quatuor Arod, met en regard le dernier des six quatuors que Mozart à dédiés à Haydn et l’ultime que Brahms écrivit.
De Mozart à Brahms
En ouvrant chacune des deux parties de la soirée par une transcription d’un choral de Bach, les quatre musiciens rappellent, par une intériorité patinée avec sobriété l’admiration féconde que le compositeur autrichien – comme son confrère romantique – vouait au Cantor de Leipzig. Cette concentration se prolonge dans l’introduction Adagio du Quatuor n°19 en ut majeur KV 465 qui donna son surnom Les dissonances à l’opus, et prépare un Allegro équilibrant élan et soin de l’articulation. Les qualités se retrouvent dans un Andante cantabile au grain sonore magnifiant avec sensibilité les modulations. La pulsation du Menuet est mise en valeur avec une vitalité souriante, presque malicieuse, qui innerve tout autant le finale. A cette légèreté qui ne sacrifie jamais la richesse de la palette et des textures répond, après l’entracte, la densité expressive du Quatuor en si bémol majeur op. 67 n°3 de Brahms, qui s’épanouit ici sans jamais alourdir inutilement le sentiment. Parsemé de contrastes, le Vivace augural n’en irradie pas moins une lumière tendre, approfondie dans l’Andante dont le théâtre intime des passions est ici éclairé avec délicatesse, sans oublier la lisibilité de la construction, également évidente dans le scherzo Agitato. Quant au finale avec variations, il ne démentira pas les moyens et la musicalité des quatre complices du Quatuor Arod. A Saoû, la relève met l’exigence chambriste à portée d’émotion.
Par Gilles Charlassier
Festival Saoû chante Mozart, du 5 au 23 juillet 2023, concert du 9 juillet 2023