Elles ont décidé de prendre le pouvoir. Dans la cité d’Athènes en crise, les hommes à la tribune déblatèrent sur des sujets insignifiants, si encore ils ont le courage de s’y rendre. Les femmes, dans l’obscurité de l’aube complotent une rébellion. Elles emprunteront aux hommes leurs barbes et leurs frusques et prendront la parole à l’assemblée pour se donner le pouvoir. L’assemblée des Femmes s’ouvre sur ces préparatifs, lors d’une scène hilarante où chacune s’essaie à la parole politique avec une barbe postiche contrefaite par les poils d’une serpillière. Dans un décor de bric et de broc, des palettes, des poussettes, de la tôle, un bidet et de grands panneaux d’affichage en carton traversés de déchirures, c’est un Aristophane moderne qu’on joue au Théâtre de la Tempête. Cette libre adaptation de May Bouhada donne la parole à une langue crue, parfois égrillarde pour mieux éclairer le vulgaire de l’existence humaine. Le théâtre d’Aristophane est assurément drôle et subversif, mais il peut sembler lointain, dépassé, déconnecté des conflits actuels. Dans la mise en scène de Mylène Bonnet, il résonne avec une étrange pertinence dans les mots d’aujourd’hui, mêlant au soulèvement féministe et égalitaire des épouses rebelles la misogynie latente de l’auteur véhiculée par la bouche même de celles qui se révoltent, en leur attribuant une idéologie naïve et intenable.
Nous prendrons le pouvoir ! Inch’Allah…
C’est un spectacle pop, dans tous les sens du terme. Dans sa présentation paillarde de la nature humaine, par exemple, comme lors d’une scène troublante où un homme, privé de sa femme et de ses habits de mâle, sort de chez lui en robe pour faire au milieu de la scène ce qu’on réserve habituellement à l’intimité de ses toilettes. Ouvertement obscène, la scène en fait rire certains de bon cœur ; chez d’autres, le visage se crispe. Populaire, le spectacle l’est aussi lorsqu’il se mue en comédie musicale kitsch, où des prostituées vêtues de hauts à paillettes rose bonbon entonnent sans talent les mauvaises chansons d’aujourd’hui. Les cinq comédiennes, aux physiques variés, interprètent parfaitement les ménagères rétives qui se substituent aux hommes pour mieux copier leurs erreurs. Le nouvel ordre qu’elles établissent est semblable à un communisme nigaud où l’acte sexuel serait primordial. Dans cette nouvelle société, « les moches et les ratatinées se mettront à côté des belles et des rebondies, et qui voudra s’en envoyer une rebondie, passera d’abord sur la ratatinée. » Voilà le langage fleuri que cette nouvelle traduction propose, en multipliant les références ironiques aux idiomes de la rue. « Nous prendrons le pouvoir, inch’Allah ! »... La pièce se clôt sur le triomphe de la chair, après une scène cauchemardesque où deux vieilles se disputent la vigueur d’un homme, la fête bat son plein dans un festin tribal et hédoniste.
Une vision amorale et dérangeante de la lutte des genres et des classes, qui ne donne le beau rôle à personne tout en offrant une comédie moderne et irrésistible, à l’ironie consciente et subversive. Une réussite.
Par Romain Breton
L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, au Théâtre de la Tempête, jusqu’au 21 avril 2013.