La France n’a pas l’exclusivité des grèves, et le Maggio Musicale Fiorentino, le plus prestigieux festival de musique d’Italie, vient d’en faire l’expérience le soir de l’ouverture de sa 78ème édition. S’avançant sur la scène aux côtés du chef Zubin Mehta avant la première de Fidelio, Francesco Bianchi, le directeur artistique, explique ainsi qu’une partie du personnel technique fait grève. Du coup, il faudra se passer des projections vidéo et des surtitres. En décors et costumes, la mise en scène de Pier’Alli y perd sans doute de son dynamisme, mais l’on peut cependant avoir une idée assez fidèle de sa cohérence visuelle et esthétique, qui ne cherche nullement de transposition moderne. Ponctué par les mouvements chorégraphiques de Simona Chiesa, le spectacle suit sobrement le propos de la fable morale.
Sous le signe de l’excellence musicale
Nullement affectée par le débrayage, la réalisation musicale peut donner toute sa mesure. Leonore, déguisée en Fidelio pour approcher son époux prisonnier, Ausrine Stundyte témoigne d’un éclat et d’une vigueur au diapason d’une écriture indéniablement germanique. Burkhardt Fritz rend audible la vulnérabilité d’un Florestan qui n’a pas perdu espoir, son grand air dans le cachot au début du deuxième acte le fait entendre. Si d’aucuns possèdent un bronze vocal plus homogène, celui du ténor allemand ne manque pas d’expressivité. Bouté hors de Bayreuth pour une question de tatouages qui avait fait scandale en 2012, le puissant et solide Evgeny Nikitin affirme toute la noirceur de Don Pizarro. Le Rocco de Manfred Hemm ne manque pas d’accents paternels, quand Anna Virovlansky expose la fraîcheur de sa fille Marzelline. Evoquons encore le ministre Don Fernando, confié à Eike Willm Schulte, ou encore l’intervention du Jaquino de Karl Michael Ebner, ainsi que les chœurs préparés par Lorenzo Fratini.
Mais c’est d’abord grâce à l’Orchestre du Mai Musical que la soirée restera mémorable. Si l’on peut parfois qualifier sa lecture d’éclectique, Zubin Mehta sait avant tout mettre en valeur les sonorités charnues et robustes, aux graves nourris, de l’une des meilleures phalanges italiennes. On ne peut résister à la densité des cordes, la sapidité des bassons, la consistance de la ligne mélodique, soutenant le souffle épique de la partition de Beethoven. Semblable plénitude sonore se trouve d’ailleurs magnifiée par l’acoustique du nouvel Opéra de Florence, imaginé par Paolo Desideri et inauguré en décembre 2011. Avec son air de parenté avec l’Opéra d’Oslo, il a d’ailleurs été reconnu comme l’une des plus grandes réalisations architecturales italiennes des cinq dernières années. Plus que jamais, Florence a désormais les moyens de l’excellence.
Par Gilles Charlassier
Fidelio, Florence, jusqu’au 5 mai 2015 – Festival du Maggio Musicale Fiorentino, jusqu’au 28 juin 2015