Achetée par Maria Casarès au début des années soixante, la demeure charentaise où l’actrice venait se ressourcer a été léguée à sa mort à la commune d’Alloue. Ce patrimoine, autant immatériel qu’immatériel, est devenu la Maison du Comédien Maria Casarès, avant de prendre, sous la direction de Johanna Silberstein et Matthieu Roy, son nom actuel de Maison Maria Casarès, avec une programme rythmé par les quatre saisons. En été, le domaine, qui est actuellement en cours de restauration – une visite du chantier est d’ailleurs proposée, où l’on peut remarquer la sobriété dans laquelle vivait l’actrice – propose un parcours pluridisciplinaire autour de l’art théâtral.
La visite à La Vergne peut commencer par une ballade paysagère en neuf étapes autour de la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus, jalonnée par des créations sonores d’Aurélien Dumont. L’itinéraire dans la verdure, qui fait une étape dans la tour du parc où on peut voit une lettre de l’écrivain sur un pupitre, suit, par bulles temporelles successives, l’intensité de la passion des amants, jusqu’à l’évocation du drame qui interrompit l’histoire, l’accident de voiture dans lequel périt Camus. Grâce à un habile travail sur la perspective auditive, les interludes électroacoustiques réussissent à diluer la frontière entre l’intérieur du casque et le monde extérieur, que l’on ressent parfois comme un simple prolongement de la parenthèse dans lequel est plongé le promeneur, au diapason d’un amour vécu comme une expérience totale de la vie.
Deux spectacles d’une brûlante actualité
Après un goûter-spectacle pour jeune public conçu par Sylvain Levey, le premier des deux spectacles à l’heure de l’apéro, avec pineau ou limonade inclus, reprend une production de Matthieu Roy sur un texte d’Alexandra Badea, Europe connexion, dont le texte, écrit il y a presque dix ans, n’a pas perdu de son actualité, au contraire. Sur la scène derrière le logis, devant un public entouré de quelques mottes de paille, Brice Carrois incarne un jeune lobbyiste pour l’industrie agro-alimentaire auprès de la Commission de Bruxelles. Dans cet univers impitoyable où l’appétit de réussite sociale brade sans hésitation tous les principes humanistes, où les incitations à s’affranchir des remords prennent l’intonation douceureux Johanna Silberstein, plus vraie que nature dans la persuasion psychologique, la santé du jeune père de famille va finir par vaciller, comme ce monde où le droit imprescriptible de se nourrir est menacé par les sophismes de très gros intérêts industriels. De ce duel en scène réglé avec une précision et une ironie grinçantes, on ressort avec une soif de révolte aiguisée.
C’est cette même acuité à interroger notre époque qui nourrit le spectacle donné avant le dîner sous les frondaisons du jardin. Coproduit avec le Théâtre d’Angoulême, La Vague de Marion Conejero, adaptation d’un roman de Todd Strasser et d’un film de Denis Gansel, développe l’expérience d’un professeur d’histoire dans une classe de lycée, pour faire comprendre à ses élèves, incrédules devant la possibilité d’un retour du fascisme, l’assujettissement d’un peuple à une idéologie autoritaire. Avec six comédiens incarnant autant de profils psychologiques différents, ce qui n’était qu’un jeu va prendre des proportions inquiétantes, et révéler les diverses facettes de la tentation de la soumission, et la fragilité de la résistance. Une pièce salutaire qui aurait pu s’affranchir d’une sonorisation un peu trop imposante pour l’intimité des lieux : c’est peut-être un penchant de la jeunesse que de croire nécessaire de faire résonner la violence dans le vacarme. On retiendra cependant la juste leçon de vigilance sociale et politique administrée par cette Vague. A la Maison Maria Casarès où les artistes forment une troupe qu accueille également le public, la ruralité est un creuset de créativité qui, en septembre, s’illustre dans le week-end consacré aux jeunes pousses, pour les petits et les grands.
Par Gilles Charlassier
Festival d’été Maison Maria Casarès, du 22 juillet au 16 août 2024.