20h, le débat ne commence que dans une heure mais déjà la foule se presse pour la « support party» organisée par les soutiens de Benoît Hamon à la Bellevilloise dans le 20ème arrondissement de Paris. La longue file d’attente qui court le long de la rue Boyer laisse présager une forte affluence et les discussions, qui vont bon train, sont empreintes de sourires et d’une certitude : Benoît est revenu dans le jeu. Les militants encartés, les supporters, les curieux, les socialistes ragaillardis, les écologistes enjoués, tous semblent requinqués par le très bon meeting de Bercy. Tous ont hâte que leur champion affirme ses valeurs et son projet. Bref ils ont tous hâte d’en découdre avec la droite, avec la gauche, avec l’extrême-droite et avec l’hybride centriste macronien ! Tous ont hâte d’une belle et franche confrontation, d’un beau match et tous, bien sur, sont certains que le candidat social-écologiste sera le meilleur !
Vite le débat !
21h, le silence se fait dans la grande salle du premier étage. Les uns et les autres qui se pressaient au buffet s’assoient tranquillement, d’autres baissent la voix lorsqu’ils répondent aux journalistes, on ne fait plus que chuchoter et on attend. Le moment est tout de même important. Pour la première fois dans une campagne présidentielle les principaux candidats vont débattre ensemble avant le premier tour. Même si TF1 a choisi d’exclure les six candidats crédités des plus petites intentions de votes, ce qui d’un point de vue démocratique est plus que discutable, on ne peut que se réjouir qu’enfin les candidats débattent, s’affrontent et parlent politique ! Oui enfin la campagne démarre et le choc des programmes va pouvoir avoir lieu. Un choc salutaire pour débusquer les mensonges, les postures et les faiblesses des uns et des autres. Ils sont heureux tous ces militants parce qu’enfin ils vont pouvoir parler politique, projet, vision. Allez vite que cela commence, on est avide de sens et de clarification !
Bug technique
21h15, toujours pas d’image ! Petit pépin technique. Une fois le son mais pas l’image. Une fois l’image qui se fige sans le son ou avec un décalage. On s’affaire tout azimut, les responsables de la campagne se confondent en excuses. Les jeunes prennent le relais et enchaînent des «Hamon Président», histoire de faire patienter l’auditoire. Une légère frustration se fait sentir. Ils étaient tous prêts pour le combat et les voilà à devoir attendre ! Ça trépigne ! Et puis enfin, on nous indique que la retransmission fonctionne dans la salle du rez- de-chaussée. Et voilà que commence une lente transhumance, chacun jouant un peu des coudes pour pouvoir avoir une bonne place. Ah, enfin le son et l’image ! Chacun se trouve un chemin, on fait silence et on écoute religieusement. Le premier tiers du débat est assez ennuyeux. Quelques piques, quelques attaques mais rien de bien vindicatif, on sent les concurrents figés et sans doute un peu effrayés par l’enjeu. Qui osera prendre à bras le corps ce débat ? Qui osera le premier sauter à la gorge de ses adversaires ? Car une chose est certaine ces candidats là ne s’estiment pas. Sauf peut-être Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Sinon pour le reste c’est soupe à la grimaces et marmonnements inaudibles. Pour résumer on pourrait dire que François Fillon, yeux collés au plafond, semble avoir besoin d’une bonne dose de Vogalene, que Marine Le Pen est prête à bondir mais se refuse à faire peur, qu’Emmanuel Macron ressemble à un stagiaire en cours de formation et qu’il est d’accord pour être d’accord, que Jean-Luc Mélenchon se retient de distribuer des baffes et que Benoît Hamon, trop sérieux, n’arrive pas à imposer sa voix. Evidemment dans la salle, tous sont sous le charme et au silence d’il y a quelques minutes, ont succédé des applaudissements, des huées et des rires. Huées et rires moqueurs pour Marine Le Pen et François Fillon. Applaudissements et approbation pour Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Enfin il y a cette réaction étrange lorsque Emmanuel Macron s’agite de ses petits poings modernes et pragmatiques et délivre son message abscons : les militants roulent des yeux, sourient impitoyablement, se moquent de son inconstance et lui assènent avec délice des leçons de gauche et de philiosophie politique.
Courte pause
22h10, TF1 envoie la pub ! Y’a pas de raison ! Faut bien faire renter un peu de fraîche dans les caisses de la Une ! On se questionnera là aussi sur le bienfondé d’une telle attitude. Mais en un sens cette coupure pub illustre bien ce que nous sommes en train de regarder : une version politique de The Voice ! Après une cigarette, amplement méritée et grillée à la va-vite entouré de militants qui déjà décryptent le comportement de leur héros, la partie reprend. Et elle s’énergise un peu. Fillon reprend la main sur l’économie mais toujours sous les huées, Le Pen patauge un peu et a choisi désormais de foutre la frousse à tout le monde, Macron se noie dans l’abysse sans fond de son ni droite ni gauche, Mélenchon fidèle à lui même veut tout changer, tout casser, tous les virer, enfin Benoît Hamon, une fois encore, a du mal à se faire entendre même s’il réussit à poser les bases claires d’une véritable vision socialiste de l’économie. La foule bouge. Assis, debout, ça commence à tirailler dans les mollets. Faut dire qu’il est bien tard. On regarde sa montre, on note quelques idées, on tweet, on commente sur Facebook, on baille, oh que c’est long !
Interminable soirée !
23h45, Gilles Bouleau qui sans aucun doute aurait pu tenir jusqu’au petit matin, lance la dernière partie ! Europe, monde, terrorisme ! Minuit moins le quart, franchement l’attention commence à se dissiper ! Les militants fidèles se montrent encore vivants, attentifs, curieux. Ça réagit, ça discute, ça se rassure aussi ! On nous annonce que Benoît Hamon sera là dès la fin du débat ! Les organisateurs espèrent que de nombreux courageux resteront pour lui faire un triomphe. Dehors il commence à flotter, les derniers métros sont dans moins d’un quart d’heure, la question de rester ou non se pose !
Finalement la star arrive ! Heureux, content, soulagé presque. Oui il a marqué des points. Bien sur qu’il a marqué des points. Il a notamment pu se différencier de Jean-Luc Mélenchon et ainsi se poser en garant d’un socialisme qui ne se renie pas mais qui est réaliste et capable de construire ! Il a l’air heureux. Sa nuit sera courte, demain direction Bruxelles. Mais il doit être bon de savourer ces instants avec tous ces militants qui croient en lui. L’exercice démocratique était beau. Presque 10 millions de français l’ont regardé, espérons que chacun aura pu se faire une idée ! La campagne est enfin commencée, allez au dodo !