Il flottait ce jeudi soir un vent d’insouciance au Théâtre du Châtelet. La douceur printanière, l’absence de masque, une salle vibrante et pleine, le son de la Kora, ne manquait que la chaleur moite et l’odeur ô combien enivrante de l’Afrique pour cet opéra-hommage imaginé par Abedrrahmane Sissako, le metteur en scène du magnifique long métrage Timbuktu. Pour narrer des siècles d’oppression, entre colonialisme, esclavagisme et exploitation de ce continent que d’aucuns pourraient penser maudit, un fil rouge: le Boli, objet sacré, « fétiche magique » en forme de cochon de lait, volé par l’écrivain surréaliste Michel Leiris en 1931 lors de la mission ethnographique Dakar-Djibouti et désormais exposé au Musée du quai Branly. Entre temps, le roi de la tribu vêtu d’un somptueux costume au premier tableau a été dépouillé; nu, il se tord au sol de douleur tandis que la reine mère-exceptionnelle Fatoumata Diawara, tantôt griotte ou esclave-selon le cours de l’histoire- tente de le consoler. Leurs frères et soeurs vont connaitre la mort sur les bateaux d’esclaves, la traite de leurs enfants pour quelques dollars-un « négrillon » de six mois est alors vendu pour de « l’élevage »- les ressources de leur terre natale pillées-le caoutchouc au Congo belge puis l’or, le cuivre par ces blancs qui « se sentent si joliment sûrs d’eux ». Après, ce sera l’immigration clandestine vers l’Europe, la Méditerranée qui se transforme en vaste cimetière comme le souligne une vidéo onirique montrant téléphone portable, passeports, doudou ou encore vêtements sombrant dans l’eau; « I can’t breathe » s’inscrit pour évoquer le meurtre par des policiers blancs de Georges Floyd et de tant d’autres à l’origine du mouvement Black lives matters; un décompte s’affiche faisant songer aux minutes sans réponse des SOS lancés par les zodiacs de fortune jamais secourus par les garde-côtes y compris dans la Manche.
Des champs de coton aux livraisons UberEats
Retour également sur « l’Opération blanchiment » en 1944 avec les tirailleurs sénégalais obligés de rendre leurs uniformes français pour vêtir les nouvelles recrues-des blancs. Leurs héritiers sont aujourd’hui vigiles, condamnés à surveiller derrière une vitrine de musée le Boli lorsqu’ils ne sont pas devenus des livreurs UberEats sillonnant nos villes pour quelques euros ou trimant sur les chantiers de construction. Vous l’aurez compris, outre la beauté des choeurs africains et de la musique composée par Damon Albarn, Le vol du Boli est une oeuvre politique, veillant à s’affranchir de tout dolorisme; le metteur en scène mauritanien et son acolyte Charles Castella sont bien trop intelligents pour cela. L’humour est partout, l’ironie aussi, du « Congo Bonheur » au clin d’oeil fait au continent « plastique »; la joie, la lumière l’emporte sur l’obscurité dans cette Afrique qui sans cesse se reconstruit, renait de ses cendres à l’image de ces barbiers qui, sitôt les cadavres, morts du choléra, enlevés, se réinstallaient dans les camps zaïrois pour raser. En Afrique, la vie l’emporte toujours. Le public du Châtelet, debout pour le final, ne s’y est pas trompé.
Par Laetitia Monsacré
Le Vol du Boli, Théâtre du Châtelet jusqu’au 8 mai 2022, 20 heures