François Mitterrand disait qu’il n’était pas sain qu’un seul parti gouverne. Les électeurs français – les un peu plus de 40% qui se sont déplacés – semblent en partie avoir adhérer à cette appréciation. En partie parce que si La République En Marche a obtenu une très large majorité absolue – à elle seule, avec ou sans le Modem –, cette majorité est moins écrasante que prévue, d’une certaine façon pondérée par des oppositions multiples garantes d’un bon exercice de la démocratie. La droite résiste malgré une défaite historique – elle obtient moins de sièges qu’en 1981 lorsqu’elle avait été balayée par la vague rose consécutive à la victoire de François Mitterrand –, la gauche socialiste est minoritaire, ne renvoyant à l’Assemblée, avec ses alliés, qu’une petite cinquantaine de députés – pire qu’en 1993 –, la France Insoumise portée à la fois par une envie franche d’en découdre et un message cohérent pourra, guidée par Jean-Luc Mélenchon, former un groupe, avec ou sans les communistes, prenant de ce fait le leadership de la gauche radicale, enfin le Front National, s’il ne pourra pas à lui seul former un groupe, réussit à faire élire huit députés dont sa présidente. La République En Marche et le Président de la République sont donc sous surveillance. Une surveillance vigilante. Une surveillance désabusée aussi vu le taux affligeant d’abstention. Quoi qu’il se passe dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois, les conséquences de ces élections législatives qui clôturent la saison politique 2016-2017, seront nombreuses.
La fin du vieux monde ?
Les premières déclarations de la soirée, celles de Jean-Christophe Cambadélis et de François Baroin sont tristes et mornes. Le premier annonce sa démission du Premier secrétariat du Parti socialiste. 20h07, Camba s’en va, le PS n’a plus de tête. Acte un de la reconstruction. Année zéro rue de Solferino. Quelques minutes plus tard, le maire de Troyes, qui se voyait Premier ministre de François Fillon il y a encore quelques semaines, d’une voix blanche, prend acte de la défaite et se désole des pleins pouvoirs donnés au Président de la République. On sent des regrets dans sa voix. Oui François Baroin regrette ses choix, sa tactique, sa stratégie. A droite aussi tout est à refaire. Les Républicains année zéro ! On se gausse aussi de sa vision catastrophée – partagée par tant d’autres – d’une France totalement macaroniste. Hors, La République En Marche n’est pour l’instant majoritaire qu’à l’Assemblée. Pas de majorité au Sénat, ni dans les régions, ni dans les départements, ni dans les municipalités. La crainte d’un pouvoir absolu est franchement exagérée. Le vieux monde existe encore, a des ancrages locaux, d’ailleurs la victoire de nombreux élus de droite et de gauche qui résistent à la vague démontre bien qu’il ne suffit pas d’une étiquette pour obtenir un mandat et que les électeurs ont conscience du travail effectué. Certes l’ingratitude et l’envie de renouveau auront balayé des centaines de députés sortants mais l’absence de débat et le flou sciemment entretenus par le pouvoir en place ont rebuté nombre d’électeurs ne souhaitant pas accorder un blanc-seing à Emmanuel Macron. Oui le vieux monde résiste et la politique à l’ancienne tant brocardée par les marcheurs modernes a encore de beau jour devant elle. D’ailleurs certains néo députés dans une démonstration totale de leur ringardise promettent de lutter contre l’abstention et de trouver les solutions pour ramener le peuple aux urnes ! On se désole de ces promesses qui un soir d’élection font bon effet mais qui dans les actes demanderont plus que de l’incantation. Le vieux monde n’est pas mort et très vite les marcheurs sans expérience politique se rendront compte de la tâche immense qui les attend et à n’en point douter adopteront les réflexes de leurs aînés et de leurs prédécesseurs. Les français réclament des réformes, de l’implication, du fond, des idées. Ils rejettent les hommes et les femmes hors sol, dans les postures, éthérés. Que les petits nouveaux prennent garde aux habitudes honnies qui pourtant s’apprennent vite et qu’ils se gardent de croire que l’on peut gouverner et agir sans mettre les mains dans le cambouis. La modernité est un beau slogan mais écrire la loi et s’occuper d’une circonscription demande plus que des mots. L’expérience a été jugée néfaste durant toute la campagne. L’expérience d’un territoire, l’expérience des années et l’expérience des mandats ont été vouées aux gémonies. Désormais cette assemblée a une mission : démontrer que le renouveau sait agir !
Le retour du pouvoir législatif ?
Et si la multiplicité des oppositions redonnait enfin du poids, du sens et une voix au pouvoir législatif ? De la France Insoumise au Front National et même si les situations de chacun sont différentes, des voix fortes et puissantes vont se faire entendre dans l’hémicycle. Et si l’Assemblée nationale avec ces fortes personnalités de tous bords redevenait l’espace politique majeur de la République ? Un espace de débat, le théâtre réel de la démocratie. Les séances de questions au gouvernement risquent d’être des moments intenses. Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière, Gilbert Collard interrogeant les ministres avec leur voix puissante, voilà qui risque d’être un beau spectacle. Elue, hélas, avec une abstention immense, la Chambre version 2017 semble pourtant avoir du poids. La castagne qui fait le sel de la politique sera-t-elle enfin au rendez-vous ? Les législatures précédentes nous ont habitués aux députés mutiques, godillots, le doigt sur la couture du pantalon, n’osant pas aller à l’encontre des choix majoritaires. Si les cinq dernières années ont vu l’apparition médiatique des frondeurs, il reste que depuis quinze ans le pouvoir législatif est écrasé par le pouvoir exécutif. Les députés La République En Marche vont devoir obéir car ne doutons pas que le Président de la République n’acceptera pas qu’une fronde puisse se lever dans ses rangs. Mais les autres, les députés de droite, les députés frontistes, socialistes, communistes, insoumis, ne lui doivent rien et vont sans doute faire vivre au gouvernement une véritable guérilla. Une guerre de tranchée pour porter le message de tous les français qui peu ou prou ne sont pas d’accord avec les orientations du pouvoir.
Chambre renouvelée, représentation féminine plus importante que jamais, néophytes en pagaille, petits nouveaux, rescapés, survivants, la législature qui s’ouvre est pleine de promesses. La réussite de la majorité est une nécessité absolue. Désormais Emmanuel Macron peut s’atteler à son ambition pour la France. Et si le débat est étouffé, si la démocratie n’est pas respectée, le peuple français saura trouver les moyens de se faire entendre. Mais surtout pas de triomphalisme pour Jupiter parce que l’arrogance est mauvaise conseillère !