Dans la copropriété, on avait l’habitude de le considérer comme le gardien. Serbe, on se doutait tous qu’il n’aurait pas fallu bon être à sa merci en d’autres temps et d’autres lieux; mais là, avec son embonpoint certain et la peau de son visage burinée par l’alcool, regardant les matchs de foot une bonne partie de la semaine lorsqu’il n’allait pas en vélo se promener le long de la plage, il était juste Boris. Boris qui avait eu un chien puis, avait considéré, une fois son berger allemand mort, que les nains de jardin et autres spots »led » hideux qu’il plantait dans ses jardinières suffiraient bien à sa compagnie. Devant sa porte, était garée sa 206 grise qui quittait rarement la rue à l’exception de quelques courses ou une virée dans un restaurant histoire de profiter de sa petite retraite. Chacun des habitants étant obligé de passer devant sa fenêtre, un cagibi assez peu ragoutant en entresol lui servant de lieu de vie, il n’était pas rare que les plus anciens occupants de cette villa divisée en appartements le saluent et discutent avec lui de la pluie et du beau temps, ce qui dans cette station balnéaire normande ne manquait pas d’être un sujet de conversation conséquent. Certains comme le petit couple nonagénaire du 3ème étage allaient même de temps en temps au restaurant avec lui. Mais avec la spéculation grandissante dans la ville, la copropriété devint progressivement un réceptacle désincarnée pour des vacanciers étrangers comme ces italiens du premier étage ou des familles aux désirs obèses, rachetant appartements aux uns aux autres pour s’offrir par un architecte formé à Day & Co un « lieu à vivre » design en espérant, à coups de cuisine open space avec îlot central, de douche à l’italienne, d’écran plats dans chaque pièce et de spots dans des plafonds encastrées, imprimer de leur passage ces villas construites au début du XXème siècle; et en mettre plein la vue dans son chez soi, en oubliant qu’on n’avait pas les moyens de l’être totalement.
Boris se fit de plus en plus silencieux. C’était l’hiver. Chacun sortait peu; seuls les bruits des moteurs des voitures de la rue brisaient le silence, accompagnés de quelques mouettes. Noël passa. Les plus riches des copropriétaires étaient au ski ou au soleil, les autres, étaient absent eux-aussi, trop faibles pour braver le froid, les journées sombres et l’escalier pour atteindre leur appartement. Une barrière plia sous une bourrasque plus violente qu’une autre et le syndic fut appelé par la mairie. On sonna partout dans l’immeuble, nulle réponse. La voiture de Boris était pourtant là. On téléphona, dans le vide. Boris était mort, seul, et sans un bruit sans doute aux alentours du Nouvel An, soit une quinzaine de jours plus tôt sans que personne n’y ait prêté attention. Dans le Pays d’Auge, le journal local, ce fut la chute d’un relai téléphonique dans la ville qui fit la une cette semaine là. Pendant une journée, une centaine de personnes avait été privé d’internet, Facebook et autres TV connectée. Heureusement, cela fut vite réparé…