La leçon de Machiavel a été entendue, on ne saurait de manière plus académique. Prenez une réforme controversée, que les gouvernants s’acharnent à faire passer, au prix de contorsions, d’arrangements, de compromis, jusqu’à rendre méconnaissable le projet de loi initial. Tout l’orgueil d’un exécutif face à une Histoire qui ne retiendra d’eux que la morgue envers un peuple citoyen dont il croit avoir reçu blanc-seing pour son programme parce qu’il a voté pour lui – erreur commune que de croire la démocratie représentative comme une délégation intégrale du pouvoir législatif à ses élus. Ajoutez-y un fait divers médical inédit, suscitant la méfiance à cause de quelques décès imputables à ce virus exotique. Soulignez les risques alarmants de contagion rapide, quoique bien moindre que nombre de maladies bien connues. Donnez quelques conseils paternalistes à la population. Choisissez des mesures de restrictions des libertés, au nom de la protection sanitaire. Figez votre pays dans une psychose avec conséquences économiques que vous ne manquerez pas de déplorer, et après lesquels vous promettez, avec une compassion que vous n’auriez pas eue pour les collatéraux de votre réforme, tous les secours possibles auprès des sinistrés – et pendant ce temps, faites voter votre loi maudite, que personne ou presque ne verra passer, obnubilé par les risques putatifs d’un microbe pas encore recensé par l’Insee, et oubliant les dommages réels d’une réforme mal expliquée, mal ficelée, sauf pour les intérêts bien compris de quelques lobbies.
Rien de nouveau, tout se transforme
Ainsi va le monde en 2020, et la France en particulier. Au fond, rien de bien nouveau : le vacarme médiatique remplace une actualité par une autre, pour éviter au citoyen de prendre le temps de réfléchir, et le rendre simple consommateur des événements qu’il subit. La Fatalité a le dos large en ces temps de coronavirus, microbe maligne et grand voyageur qui fait paniquer les foules. Comme dans les meilleurs temps obscurantistes, on stigmatise, on met en quarantaine, on interdit les rassemblements, au-delà d’une jauge variable selon les endroits – en épargnant cependant la Fashion week venue de Milan et les rencontres footballistiques, les enjeux étant évidemment supérieurs à l’intérêt dit général. De cette mise à l’isolement des unités de consommation auxquelles le capitalisme voudrait réduire les citoyens, la culture est la première frappée, avec un Salon du Livre purement et simplement annulé. L’émancipation par le savoir et la lecture sont en effet de dangereux ferments d’insoumission : les gouvernements totalitaires ne cessent de le rêver, le coronavirus l’a fait. Quant aux recommandations aberrantes du Ministère de la Santé, de ne plus se serrer les mains pour éviter la propagation d’un virus somme toute guère plus méchant que l’habituelle grippe hivernale, laquelle, rappelons-le, mute chaque année, nécessitant une réactualisation constante du vaccin, cela évitera à de sinistres administrations de ne pas se pencher sur la déliquescence programmée d’un système de soins dont nombre de pays nous enviaient l’excellence. Et bientôt, faute de se toucher, de s’embrasser, de baiser, la natalité chutera, et, après la pandémie, une autre campagne prendra la place, pour inciter à la procréation, et encourager les sexualités démographiquement fertiles. Un vacarme après l’autre : rien ne se créé, tout se transforme. Il ne me reste qu’à rêver à une insurrection générale des consciences et de la Raison, mais je crains qu’il ne soit préférable de garder mes songes de révolutions et de barricades pour moi- même si le port du masque aux manifestations risque d’être enfin bienvenu. La censure veille.
Par Gilles Charlassier