Je me souviens d’un de mes amis travaillant à la télévision qui, s’ennuyant dans son couple, était allé sur Meetic chercher l’aventure. Il m’avait alors raconté comment les rencontres y étaient des plus décevantes, me narrant qu’une femme à laquelle il avait dit être à la télévision lui avait parlé de son téléviseur en panne. Lorsque l’on est Président de la République, il arrive que le même raccourci vous arrive. Le moindre problème avec les services publics et le représentant de l’Etat peut se voir apostrophé par l’usager en colère, à la faveur d’un serrage de main, avec en réponse, un « je vais voir ce que je peux faire » de circonstance. Emmanuel Macron ne risque plus depuis fin novembre d’y être confronté, tout contact avec le « peuple » lui étant bien évité, à moins d’être des hanballeuses pas vraiment prêtes à se faire hara-kiri ni des « officiels »qui ont tout à y perdre. Je me souviens pour ma part avoir, alors que j’avais suivi la campagne présidentielle de François Hollande et assisté à son investiture- lire articles , eu le privilège, me reconnaissant dans l’assemblée invitée à la soirée inaugurale de la Philarmonie de Paris, qu’il me serre longuement la main en écoutant mon « tiens, justement j’ai quelque chose à vous dire ». Nous étions sept jours après l’attentat de Charlie Hebdo et ma fille, 10 ans, pleurait, non pas sur les onze morts parmi lesquels les dessinateurs Cabu et Wolinski, mais sur sa classe de neige qui allait être supprimée avec les mesures de sécurité liées à l’état d’urgence. Il m’avait écouté, à la différence d’Anne Hidalgo, qui m’avait opposé un parfait mépris, lorsque je lui avais dit combien la décision de l’école publique, dépendant de la Ville de Paris, était un triste signal quant à la perception des enfants de « cette France qui ne plierait pas face aux terroristes ». Trois jours plus tard, une lettre du chef de cabinet de l’Elysée d’alors, Thierry Lataste, m’expliquait avec bienveillance pourquoi il en était ainsi.
Depuis l’entrée en fonction d’Emmanuel Macron, ma fille a grandi; elle va aujourd’hui au collège public, tout comme son frère. L’an dernier, il a « décroché » scolairement, avec un carnet de correspondance se remplissant de mots pour condamner son comportement mêlant bavardage, incapacité à se concentrer et absence de travail à la maison. A la différence de sa soeur, il ne rentrait pas dans la case Education nationale où règne le psittacisme- répéter comme un perroquet sans comprendre. Une école alternative? Il n’y en aucune en France pendant les cinq années de collège: un enfant habitué à l’autonomie et aux principes chers à Montessori ou Steiner doit à l’âge crucial de 11 ans retourner dans le système classique. Bref, passer d’Apple à Microsoft ce qui rendrait tous les créatifs et beaucoup de journalistes de la planète totalement désespérés. Contractant un crédit revolving pour offrir à mon cher fils un internat privé à 800 euros par mois, j’ai alors inscrit mon fils non loin de Paris, après avoir tenté de le faire suivre au Centre Médico Psychologique de mon quartier. Cinq mois d’attente. Une fugue chez son père, complice, la veille d’entrer à l’internat plus tard, il devint « déscolarisé » ce qui déclencha une intervention en urgence de la juge des enfants, surprise que je lui demande leur placement face à mon fils incontrôlable et ma fille devenue, en pleine quête identitaire, la voix de son père.
A force de plaintes déposées pour non-présentation d’enfants, d’abandon de famille depuis leur naissance et de violences psychologiques qui avaient failli avoir raison de moi- j’avais même songé dans leur enfance à « les emmener avec moi », sanglotant rétrospectivement toute une projection presse du film A perdre la raison à voir une mère sombrer jusqu’à commettre l’irréparable- j’avais en effet une pleine confiance dans la justice pour les protéger. Et me protéger. L’Aide Sociale à l’Enfance les accueillit un matin à 10 heures puis, faute de lieu d’accueil disponible, les garda dans leurs locaux jusqu’à la nuit, sans que personne ne me donne des nouvelles à part eux, en pleurs au téléphone. Le lendemain matin, un mail de ma mère m’apprenait que « ses deux chéris étaient dans un HLM avec des musulmans. »
Mes enfants, loin de tout stigmatisme, ont apprécié cette femme marocaine, dévouée et accessoirement voilée; le père a incendié l’ASE de lettres recommandées et moi, j’ai souvent pleuré de me retrouver seule chez moi après des FaceTime où ils semblaient comme en prison derrière leurs lits superposés à barreaux. Chaque mercredi était un parcours du combattant avec ma fille qui réclamait sa liberté; les messages sur une, deux, trois boites vocales, le temps s’écoulait jusqu’à ne plus pouvoir espérer l’autorisation pour elle de prendre un chocolat avec ses copines. Un mois plus tard, elle rentrait soulagée à la maison, la famille d’accueil devant prendre un nourrisson et la visite d’un foyer sinistre l’ayant convaincu de sa chance de vivre avec moi. Son frère fut pris après deux mois sans aller à l’école le temps que les services sociaux et le rectorat réagissent dans le seul collège-internat public de Paris. Il y fut accepté en sureffectif dans des classes limitées à 28, zone prioritaire d’éducation oblige, le principal prenant le risque d’une gréve de ses enseignants. La somatisation commença; en l’absence d’infirmière depuis deux ans faute de moyens pour la remplacer, son père ou moi nous transformèrent alors en taxi.
En septembre dernier, mon fils fut diagnostiqué avec un TDAH-trouble de l’attention avec hyperactivité- pour 150 euros en consultation privée par un professeur de l’Hôpital Robert Debré où il faut attendre six mois pour avoir un rdv, à condition d’arriver à joindre le service saturé entre 13 h30 et 16 h30. Un HP saturé tout comme celui de Necker où ma fille ne put jamais obtenir un lit malgré des douleurs abdominales la faisant hurler, son pronostic vital « n’étant pas engagé ». De retour dans son collège sur fond de #Pasdevague, de « bobologie » de professeurs absents, de CPE partant en cours d’année, ma fille y obtient chaque trimestre les félicitations, bien qu’elle ne sache pas dire « pain » en anglais après trois années. Son frère a, lui, fugué de son internat public avant Noël en escaladant le petit mur au fond de la cour pendant l’heure du goûter- des travaux sont envisagés m’a-t’on répondu. Sa CPE, joignable uniquement par SMS répond rarement. Dans son ancien collège où j’ai demandé son retour pour cette rentrée, la principale m’a donné peu d’espoir, les classes étant surchargées. Depuis une semaine, la ligne du service des juges des enfants est indisponible lors des horaires d’ouverture de 9-12 heures, 14-17 heures. Des horaires de fonctionnaires comme on dit. Surtout des services publics au bord de l’implosion par manque d’effectifs répondent ceux qui y travaillent lorsqu’ils ne reprochent pas aux malades, comme ce chef de service d’un hôpital parisien, d’ être des « consommateurs qui se croient au supermarché ».
2019 est arrivée; la reforme de la justice décidée par Emmanuel Macron se met en place. Le corps enseignant lance ses #Stylos noirs. Et Ingrid Levavasseur, femme gilet jaune, fait le travail de deux personnes comme aide soignante pour 1250 euros euros chaque mois. On juge, parait-il, un pays à ses hommes politiques, ses hôpitaux, ses écoles, sa justice, ses médias et sa police. Dont acte, Monsieur Macron.
Par April Wheeler