Il est toujours bon de mettre en perspective les créations chorégraphiques avec le répertoire, et c’est ce que le Ballet de l’Opéra des Flandres propose en ce début de printemps, avec un programme balayant un siècle de danse, mettant en regard le passé avec le présent. C’est d’ailleurs le propos même de la pièce inaugurale de la soirée, Les Noces d’Edward Clug, créée à Gand en 2013, qui se place sous la patronage évident de Nijinska. De fait, elle s’appuie sur la même partition éponyme de Stravinsky, et reprend un semblable et subtil mélange de folklore et d’humour, dans une mouture décantée, à l’instar du décor mobile de bois clair de Marko Japeli, habillé de lumières épurées et fluides comme les costumes de Leo Kulas. Si de la légende des Ballets russes on retrouve le travail des ensembles, le geste et les formes prennent une allure plus anguleuse, et plus saccadées, interstices où l’on devine une habile mise à distance de l’original. Aux côtés de sa fiancée, la diaphane Lara Fransen, Philipe Lens résume l’innocence du fiancé, tandis que Teun van Roosmalen régale en fausse fiancée, irrigant d’une irrésistible énergie son personnage de marionnette.
En faisant appel à Nicolas Le Riche pour reprendre L’après-midi d’un faune de Nijinski, on a choisi d’avoir la caution d’un des plus significatifs interprètes d’aujourd’hui à avoir dansé cette page mythique. Les couleurs drues du fond de scène de Leon Bakst servent d’écrin à la reconstitution attentive de Wim Vanlessen, quand la première nymphe sensuelle d’Ana Carolina Quaresma se détache de ses six comparses en bouquet. Le résultat satisfait vraisemblablement surtout la muséographie, tant la nervosité et la lascivité calculée des postures, sans faiblesse, semble obéir à un canevas figé plus qu’à une recréation vivante.
De la Russie mythique à l’énergie de Fondaniakis
Après une première partie de soirée placé sous le signe de la danse russe, historique ou réinventée, la seconde met en avant deux chorégraphes au langage à la fois reconnaissable et accessible. Selon désir, d’Andonis Foniadakis, créé en 2002 à Genève, emporte l’adhésion par la vitalité contagieuse de ses ensembles foisonnants comme la polyphonie de Bach qui sert de canevas musical – les ajouts électroacoustiques aussi discrets qu’avertis de Julien Tarride relient les choeurs d’ouverture des deux Passions, de la Saint-Matthieu et celui de la Saint-Jean. En complicité avec les couleurs chamarrées des costumes d’Anastasios Sofroniou qui paraissent chanter la diversité du monde, l’écriture chorégraphique plonge les solos et duos dans un maelström où prévaut l’irradiante communion des corps, dans une pulsation interrompue soulignée par les lumières de Sakis Birbilis. Plus qu’une imitation de la religiosité du support sonore, c’est bien une jubilation quasi panthéiste que célèbre la pièce de Fondaniakis.
La commande passée à Edouard Lock, The heart of august… continued, donnée ici en première mondiale à Gand, contraste par son austérité scénographique. La sobriété du décor de Claude Goyette redouble la mélopée répétitive de Gavin Bryars entonnée par les pupitres de l’HERMESEnsemble. Les boucles gestuelles et musicales, esquissant une narration éthérée, finissent par lasser avant l’expiration des cinquante-cinq minutes d’un ballet aux confins de l’installation artistique. L’indispensable exploration formelle ne vaut pas toujours les valeurs sûres.
Par Gilles Charlassier
Ballet de l’Opéra des Flandres, Clug, Nijinski, Fondaniakis, Lock, du 31 mars au 8 avril à Gand et du 14 au 24 avril 2018 à Anvers