Le paysage de la création musicale en France ne se limite pas à l’Ircam et l’Intercontemporain, et aux grandes salles parisiennes. Parmi les ensembles qui défendent les explorations de nouveaux sentiers sonores, Proxima Centauri, basé à Bordeaux, propose, ce jeudi 14 novembre 2019, avec l’Espacio Sinkro, trois nouvelles pièces dans un dialogue avec trois pages du répertoire contemporain. Si la salle du complexe du Rocher de Palmer, à Cenon, davantage propice aux musiques dites actuelles qu’aux expérimentations plus savantes, n’offre pas nécessairement des conditions acoustiques optimales, le programme associe avec intelligence et complémentarité des esthétiques diffférentes.
Après les volutes de Nataraja, pour flûte et piano, de Jonathan Harvey, Demian Rudel Rey invite, avec Cuélebre, pour flûte, saxophone, percussion et électronique, à un foisonnement évocateur de sonorités hétérogènes inspiré par une créature de la mythologie asturienne. Dans le registre de l’immersion au cœur de la matière sonore, les aventureuses et colorées synthèses de timbres de Chemins inouïs de José Luis Campana, mêlant un quintette classique à un ensemble d’instruments enregistrés puisés dans les traditions orales des quatre coins du monde, répondent à la concentration et aux superpositions de textures du Trio pour violon, violoncelle et piano de José Manuel López López. Pour flûte, violoncelle et piano, Durations I de Morton Feldman distille une sorte d’extase hypnotique caractéristique du musicien américain, avant la saisissante maîtrise scénographique de Sabia, requiem non lithurgique pour la nature de Juan Arroyo, écrit pour flûte, saxophone, percussion, piano et électronique – et après celles de Demian Rudel Rey et José Luis Campana, troisième création de ce concert. Déambulant autour du public, les solistes déploient des alchimies suggestives, aux confins de la facture instumentale, relayées par un dispostif électroacoustique inédit sur leur dos – le compositeur péruvien aime chercher des lutheries électroniques originales – , tandis que des paroles murmurées par les interprètes servent de prologue et d’épilogue à un fascinant rituel sur les cendres de l’hybris de l’homme qui détruit sa propre planète. Un beau programme où l’exigence artistique de Proxima Centauri se décline en chatoiements sonores.
Exploration de sonorités
Quelques semaines plus tard, alors que les grèves de transport perturbent fortement les déplacements, l’ensemble Regards propose, à Paris, en l’église luthérienne Saint-Marcel, vendredi 6 décembre, un récital de Didier Rotella, autour de la Sonate pour piano de Bartók. Le pianiste ouvre avec une page de sa main, Strophe 1, qui élargit avec un dispositif électronique les ressources rythmiques et percussives héritées du maître hongrois. Les Trois études pour piano de Michaël Levinas plongent dans la trame de l’instrument avec une saisissante subtilité poétique. Dans un cadre formel bien défini, les pièces explorent des effets et des sonorités délicats et inspirés, que met en avant la présente lecture, sensible et investie, et que saluera le compositeur, présent dans la salle. Cette maîtrise technique et musicale se confirme dans Anaglyphe, du même Levinas, ainsi que dans la puissante Sonate de Bartók. Donnée pour la première fois dans sa version pour piano, l‘Etude en blanc n°1 « Heart mechanics » du soliste, Didier Rotella, s’inscrit dans cette prolongation de l’identité sonore de l’instrument, qu’il fait vibrer comme un carillon, avant, en clôture de cette soirée aussi intimiste qu’intense, les échos électroacoustiques de l’Etude pour un piano espace de Levinas.
Par Gilles Charlassier
Concert croisé #1, Ensemble Proxima Centauri, Cenon ; Concert Ensemble Regards, Paris, novembre-décembre 2019