Faly approchait de l’université d’Ankatso. Il allait rejoindre Nambinina, sa maîtresse, une étudiante. Il faisait nuit et la lune n’était pas encore levée. Faly marchait sous les étoiles. Il se sentait léger et heureux.
Depuis qu’il avait rencontré Nambinina, huit ou dix mois auparavant, il avait enfin le sentiment de vivre une véritable histoire. Ils avaient noué une grande complicité, ils pouvaient se parler de tout à cœur ouvert. Pourtant, elle avait vingt ans de moins que lui. La maturité, l’intelligence, la liberté d’esprit de cette jeune femme vive et gaie, au regard pétillant et aux gestes gracieux, l’étonnaient sans cesse. Lorsqu’il refaisait le monde, lorsqu’il critiquait la société ou parlait politique, elle ne prenait pas cet air gêné qu’avaient souvent les autres. Elle ne restait pas silencieuse à attendre que ça passe, à penser que tout de même, ce n’était pas très correct de formuler des idées pareilles. Au contraire, elle faisait des remarques, elle posait des questions pertinentes ou contrait ses arguments. Leurs conversations étaient toujours intéressantes. Avec elle, il se sentait bien.
Plusieurs fois par semaine, il la retrouvait dans sa chambre d’Ankatso. Ils passaient la soirée à parler et à la fin ils faisaient l’amour. Faly arrivait tard le soir et repartait très tôt le matin, avant le lever du jour. Ils ne tenaient pas à ce que leur liaison fût publique, à cause de leur différence d’âge, mais aussi parce que Faly occupait une importante position dans la société.
Nambinina était étendue sur son lit, dans sa chambre. Malgré la nuit, elle n’avait pas allumé la lumière. Elle préférait attendre Faly dans la pénombre. Ce soir-là, elle n’avait pas envie de discuter. Elle voulait faire l’amour tout de suite. Elle était nue. Un brûle-parfum diffusait une délicieuse odeur d’ylang-ylang. Elle espérait que Faly porterait la chemise rouge qu’elle lui avait offerte pour son anniversaire. Cette chemise lui allait bien. Elle lui donnait beaucoup de classe et de virilité. Elle avait hâte qu’il entre, qu’il l’appelle, qu’il la cherche à tâtons dans le noir. Elle ne dirait rien, elle attendrait qu’il la trouve et que, surpris de rencontrer sa peau nue, il la prenne tout de suite dans ses bras. Elle adorait son odeur, sa force, la largeur de ses épaules et la douceur de ses gestes.
Faly était presque arrivé. Il achevait de traverser le campus désert et bordé de rizières. Il entra dans la cité universitaire. Il était chaque fois un peu ému de retourner dans ces lieux où lui-même avait étudié et vécu des années auparavant. Il allongea le pas, pressé de retrouver Nambinina, d’entendre sa voix, de caresser ses cheveux, d’embrasser ses lèves fines et douces et de voir dans ses yeux le reflet de son amour. Il portait la chemise rouge qu’elle lui avait offerte pour son anniversaire. Il n’aimait pas vraiment cette chemise, il la trouvait trop voyante, un peu vulgaire. Mais il voulait faire plaisir à sa jeune amante.
Nambinina entendit un léger bruit du côté de la fenêtre ouverte. Elle frissonna de plaisir. Faly lui faisait une surprise, il entrait par la fenêtre. Ce n’était pas la première fois. Il lui était déjà arrivé d’entrer chez elle comme un voleur et de la surprendre. Par jeu, il lui mettait les mains sur les yeux et demandait : « devine qui est là ? » Elle poussait toujours un petit cri de frayeur. Mais cette fois elle était aux aguets, elle l’avait entendu. Elle ne voyait rien du tout, il faisait trop noir, mais elle le sentait s’approcher doucement. Elle entendit sa respiration un peu essoufflée. Elle restait totalement immobile, se retenant de rire.
Une main moite et glacée se posa sur sa cuisse nue et se retira aussitôt. Au même moment, la lune se leva et donna de la lumière dans la chambre. Nambinina distingua la silhouette de celui qui était entré chez elle. Une silhouette mince, presque chétive. Ce n’était pas Faly. Elle cria de frayeur. L’homme bondit vers la fenêtre et disparut dans la nuit. « Au voleur ! hurla-t-elle. Au voleur ! »
Aussitôt, ce fut le branle-bas de combat dans toute la cité universitaire. Des lumières s’allumèrent, les étudiants sortirent dans la rue, armés de bâtons ou de grosses pierres. Ils frappèrent à la porte de Nambinina qui s’était rhabillée à la hâte.
− Nambinina ! Tu vas bien ? Qu’est-ce qu’il t’a volé ? À quoi ressemble-t-il ? lui demandèrent ses camarades aussitôt qu’elle ouvrit la porte.
− Je n’en sais rien, il faisait noir, je ne sais pas s’il a eu le temps de prendre quelque chose.
− Si on l’attrape, il va payer, c’est le troisième vol en une semaine !
Les étudiants firent demi-tour. Ils étaient déjà plusieurs dizaines. Ils coururent par petits groupes vers les issues du campus pour les bloquer. La battue s’organisa.
Faly avait entendu les cris de Nambinina et avait reconnu sa voix. Il se précipita vers sa maison. Il était encore à deux cents mètres peut-être, dans une rue parallèle. Il vit surgir un groupe d’étudiants. Les faisceaux de leurs lampes torches balayaient la rue de lumières bleuâtres. Ils couraient. Faly se rangea sur le côté et, au moment où ils arrivaient à sa hauteur, les arrêta de la main pour leur demander ce qui était arrivé.
Nambinina hésita quelques instants et sortit. Elle avait d’abord pensé attendre Faly chez elle, mais elle se sentait trop surexcitée pour demeurer immobile. Faly était probablement déjà dans le campus, il s’était sûrement associé aux poursuivants. Des cris de colère et de triomphe résonnèrent tout près de chez elle. Elle frissonna. Elle se rappela la sensation de cette main froide et moite sur sa cuisse, elle songea qu’elle aurait pu se faire violer et écarta l’idée avec dégoût. Si on l’attrapait, l’homme serait terriblement battu. Peut-être pire encore. Il arrivait au moins une fois par an que l’on brûlât un voleur. Ces immolations pour l’exemple ne choquaient pas Nambinina. Les étudiants d’Ankatso étaient pour la plupart très pauvres, les vols étaient intolérables. Elle se demanda ce que Faly pensait de ces pratiques, s’il avait autrefois, lorsqu’il était étudiant, participé à ces vengeances collectives.
Nambinina marcha en direction du lieu d’où provenaient les cris. Elle tourna deux fois à gauche et se trouva dans une rue parallèle à celle où elle habitait. Elle vit alors un attroupement nombreux et serré d’étudiants qui gesticulaient et proféraient des menaces. Elle s’approcha. Elle ne voyait que des silhouettes noires, de dos, qui se détachaient dans la nuit à la lueur des torches électriques. Elles étaient massées en demi-cercle devant un mur.
Nambinina s’approcha plus près et comprit que ses camarades étaient en train de rouer quelqu’un de coups de pieds et de bâtons. Elle se fraya un passage à travers la foule. Elle commençait à apercevoir le centre du cercle. Un étudiant déversait le contenu d’un bidon d’essence sur un corps allongé dans l’ombre. On allait brûler le voleur. L’étudiant gratta une allumette. Tout le monde recula et Nambinina se retrouva au premier rang. L’homme gisait face contre terre, immobile. Il avait perdu connaissance. Un hurlement retentit. Nambinina venait de reconnaître la chemise rouge qu’elle avait offerte à son amant. Elle se précipita vers lui mais l’étudiant avait déjà jeté l’allumette enflammée. Le corps de Faly s’embrasa dans la nuit.