2 novembre 2024
La Cerenentola à Nancy ou Rossini chez la famille Addams

Selon une tradition établie, les fêtes de fin d’année riment souvent à l’opéra avec répertoire «léger». Après Don Pasquale l’an dernier, c’est un autre classique de la comédie belcantiste que Nancy met à l’affiche. L’adaptation du conte de Perrault que Rossini fait dans La Cerenentola prend des libertés avec la source féérique pour la recentrer sur une leçon morale et sociale, à la croisée des préoccupations du siècle des Lumières et de celui des bouleversements de l’industrialisation.

Fabrice Murgia, dont le public lorrain avait pu applaudir le travail dans Le Palais enchanté de Rossi en 2021, réinjecte un peu de fantaisie dans la fable réaliste en faisant appel à l’univers visuel de Tim Burton et de la famille Addams. Dans l’auberge de Don Magnifico dessinée par Vincent Lemaire, Cendrillon est une jeune fille aux allures un peu gothiques qui ne correspond pas exactement à l’idée usuelle des standards du service hôtelier, et qui revêt pour le bal la blanche robe des vierges noires de l’Europe méridionale. A l’heure de l’ubérisation, le faux-mendiant est devenu un livreur de pizza clochardisé. Habillée de pieuvres, la fête du prince, majordome grimé en Lurch, fait sortir les céphalopodes du formol de la collection de bocaux. Les bizarreries de la mafia s’accouplent avec celles de la tribu Addams, dans une charge visuelle divertissante, qu’illustrent les costumes de Clara Peluffo Valentini et les cadrages en temps réel, relayés dans les projections vidéos réalisées par Emily Brassier et Giacinto Caponio.

Prima la musica

Dans ce spectacle aux effets passablement appuyés se distingue l’incarnation de Beth Taylor dans le rôle-titre. D’un calibre vocal plus large que certaines habitudes de distribution, la mezzo écossaise affirme des couleurs sombres et un medium nourri qui n’interdisent aucunement la virtuosité. Aux côtés de cette mémorable Angelina, Dave Monaco fait rayonner le lyrisme lumineux de Don Ramiro, avec une émission rossinienne bien focalisée, qui gagnerait en élégance naturelle avec un soupçon supplémentaire de souplesse. Gyula Nagy résume la veule autorité de Don Magnifico dans les tons du patriarche-barbon bouffe. Alessio Arduini se révèle un robuste Dandini, à défaut de davantage de nuances, auxquelles échappe Sam Carl dans les répliques d’Alidoro. Quant au duo des deux sœurs, Clorinda et Thisbe, Héloïse Poulet et Alix Le Saux s’y révèlent complémentaires, comme les interventions du choeur préparé par Guillaume Fauchère.

Dans la fosse, Giulio Cilona ne ménage pas sa vitalité avec les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Lorraine, et révèle le meilleur de son inventivité musicale dans les récitatifs au piano-forte à l’humour délicieusement émaillé de citations et de pastiches – dans l’esprit même d’une partition dont il s’attache à mettre en valeur la volublité dramatique. Dans cette Cerenentola profuse scéniquement, les séductions musicales ont l’avantage.

Par Gilles Charlassier

La Cerenentola, Opéra national de Lorraine, Nancy, du 13 au 22 décembre 2024

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